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L’AFFAIRE MARQUET

 

Jean FLOQUET

 

A la fin de sa vie, François Nicolas Marquet, (1687-1759), doyen des médecins de Nancy, se trouva mêlé au conflit qui opposait, depuis fort longtemps, médecins et chirurgiens. Ces derniers contestaient vivement la prééminence de la médecine.

En 1752, l’article 52 des statuts du Collège Royal de Médecine de Nancy rappelle que “ Le conseil nommera deux agrégés qui devront assister aux examens et chefs-d’oeuvre, qui se feront à la ville de Nancy, des aspiran(t)s en chirurgie et pharmacie, pour le tout être en conformité des ordonnances et règlements”.

L’opposition des chirurgiens fut immédiate. En novembre 1752, un compromis est accepté pour que “la plus parfaite intelligence et cordialité ..règnent entre les deux corps. Stanislas n’y est sûrement pas étranger. “Des consultations communes auront lieu les samedis de 10 à 12H où participeront 5 médecins et 5 chirurgiens, chacun parlant en premier selon la matière

du mal ... les chirurgiens assistent au cours du public ... et au moment des examens d’aspirants à la maîtrise de chirurgie, le président et un agrégé du Collège assisteront aux actes”. Cette présence était jusqu’alors volontiers assurée par le doyen des médecins, notamment à Nancy.

Ce fragile équilibre est rompu à l’occasion de la maîtrise du Sieur Pierre Christophe, le 2 juin 1755. Convié à siéger à cet examen, aux mêmes date et heure qu’une réunion statutaire du Collège, Bagard, président du Collège, demande vainement au lieutenant des chirurgiens que l’heure, sinon la date, soit déplacée. Les chirurgiens vont demander à Marquet d’assurer la présence médicale, ce qu’il fait malgré l’opposition du Collège. Le 7 juillet, Bagard est invité au second examen de Christophe, où il se rend avec son collègue Platel. Marquet, bien que non choisi par ses pairs, est également présent. En fin de séance, les chirurgiens dénient à Bagard le droit d’interroger, de donner son avis et de signer les actes. Bagard et Platel se retirent immédiatement. Marquet, lui, “eut la faiblesse de rester spectateur oisif”.

Dès lors, va s’enclencher toute une série de plaintes et libelles : le Collège demande que l’examen de Christophe soit invalidé et que les chirurgiens soient rappelés aux règlements et statuts en vigueur … Marquet de son côté entreprend de multiples actions auprès de la cour de

Lorraine, du Roi Stanislas … estimant qu’il a été spolié de ses droits de doyen.

La vindicte de Marquet va se cristalliser autour de deux personnes : tout d’abord contre le président Bagard, mais leur opposition est ancienne. En 1743, Marquet accusait Bagard “ de n’exercer aucune injonction du Roy. Il n’a vu, ni assisté aucun malade … il paraît se confirmer qu’il veut continuer d’être médecin de parade de l’Hôtel de Ville ...” et en 1751, de vouloir le destituer de son titre de doyen. Il ne cesse de rappeler les prérogatives du doyen, reconnues par la Faculté de Pont-à-Mousson, prérogatives, en effet, mises à mal par la création du Collège.

La seconde personne est Rönnow, que Marquet appelle “Renaud, ce médecin suédois …”.

Si au début Rönnow dit avoir soutenu le point de vue de Marquet, l’opposition entre ces deux

personnes deviendra rapidement très vive et de nombreuses lettres témoignent de la verdeur des échanges. Mais Marquet aura beau adresser plaintes sur plaintes, au point de lasser tout le monde, y compris Stanislas, il n’obtiendra pas gain de cause.

Peut-on comprendre les motivations de Marquet ? Il écrit “Médecins et Chirurgiens avaient besoin d’un bon accord, maintenant il faudrait un miracle pour les réunir”. Mais en réalité, ce sont surtout ses propres prérogatives de doyen qu’il veut préserver. Les revenus, attachés à cette fonction, ne sont pas, également, sans influencer son comportement. Dans plusieurs lettres, Marquet proteste contre diverses amputations de ses revenus : destitution de son emploi de médecin des pauvres, mémoire contre les officiers de l’Hôtel de ville qui lui enlèvent 200 livres sur les 400 qui lui sont données pour soulager les pauvres … En 1752, il s’oppose au Collège à propos d’un cours de botanique ; il a fait imprimer des affiches sans l’accord de celui-ci. En 1753, il prend à partie un de ses collègues lors des séances de “Questions” du Collège royal …

Cependant, aucun procès ne sera poursuivi contre lui. Ronnöw insiste pour que les faits soient abordés uniquement au niveau du Collège, “ pour ne pas faire rire le public”. Ceci pourrait confirmer une hypothèse selon laquelle Marquet, qui fut sans aucun doute un grand médecin, ne jouirait plus alors de toute sa lucidité. En avri1 1756, Ronnöw accepte les excuses que Marquet lui aurait présentées devant le Collège, mais le 08 juin 1756, Marquet se voit “interdit des assemblées et fonctions du Collège pour six mois ; et si pendant ce laps de temps il ne se rétracte pas, il sera rayé du catalogue”.

La réponse de Marquet est immédiate : “J’ai déjà cessé depuis un an et demi de participer aux séances …”. Il refuse de se soumettre. Ensuite, les archives détenues par le Musée de la Faculté sont silencieuses jusque 1759, date à laquelle le Collège répond à une demande de Marquet : “Le Collège Royal a reçu votre lettre qui a été lue dans la séance de prima mensis de Février … vous êtes toujours dans les registres, doyen du Collège avec droit de vous trouver au conseil. L’almanach ne fait ni titre ni loi chez nous. On pourvoira à ce que vous fussiez inscrit dans la suite puisque vous paraissez le désirer”.

Marquet décède cette même année. Le temps a fait son oeuvre, mais les chirurgiens, eux, continuent de refuser la suprématie médicale. Ils attendront la mort de Stanislas pour que ce problème soit réglé.