` menu

Le Cardinal Charles de Lorraine (1524-1574) et la création de l’Université de Pont-à-Mousson

 

Jean FLOQUET

 

 

 

A Pont-à-Mousson, une plaque de marbre apposée au centre des bâtiments de la cour d’honneur de l’ancienne université rappelle la fondation de celle-ci (figures 1 et 2).

 

                 

1 : la cour de l'université                   2 : la plaque en latin et sa traduction en français

 

 

QISQUIS ES ASTA ET PERLEGE CAROLUS III CALABRIAE LOTHARINGIAE GUELDRIAE DUX MARCHIO MUSSIPONTANUS BARRI PATRIAE ET LITTERARUM PARENS CUM HANC UNIVERSITATEM EREXISSET ET COLLEGIUM HOC SOCIETATIS JESU VNICE SEMPER DILEXISSET ET SINGULARIBUS BENEFICIIS ORNASSET HOC EODEM QUO E VIVIS SUBLATUS EST ANNO M.DCCVII HENRICUS SECUNDUS NON MINUS VIRTUTUMQUE CAETERARUM QUAM DITIONIS DIGNISSIMUS HAERES ABSOLVIT

 

Qui que tu sois, arrête-toi et lis jusqu’au bout. Charles III, duc de Calabre, de Lotharingie, de Gueldre, Mussipontain sur la marche du Barrois, protecteur de la patrie et des Lettres, en érigeant cette université et ce collège, en estimant toujours particulièrement le concours de la Société de Jésus, en la dotant de bénéfices exceptionnels, a commencé à la rehausser au rang des Ecoles. L’année même où il a été ravi du monde des vivants, en 1707, Henri II l’a achevée, en héritier non moins extrêmement digne en bienveillance paternelle, en libéralité et autres vertus qu’en autorité.

 

 

               

3 : le Cardinal Charles de Lorraine           4 : le colloque de Poissy

 

 

Il est étonnant que ne soit pas mentionné le nom du Cardinal Charles de Guise puis de Lorraine (figure 3) sans lequel, vraisemblablement, cette université n’aurait pas vu le jour. Fils de Claude de Lorraine, premier duc de Guise (1496-1550), et d’Antoinette de Bourbon-Vendôme, il eut une dimension politique et religieuse tout à fait remarquable. Né duc de Chevreuse, il est archevêque de Reims en 1538, où il succède à son oncle Jean. Il a 13 ans. Il sera transitoirement évêque de Metz et nommé cardinal en 1547. Il occupera de brèves fonctions ministérielles au côté de l’éphémère François II, mais d’une durée suffisante pour qu’il ait une position de premier plan auprès du duc de Lorraine Charles III dont il est le cousin, ainsi qu’au niveau de l’Eglise de France. Il sera le président de la délégation française à la troisième session du concile de Trente (1562-1563). D’abord relativement tolérant vis-à-vis des protestants, mais avec la conviction qu’il faut les remettre dans le droit chemin, il deviendra une des têtes de la lutte contre la Réforme. Il participe au Colloque de Poissy (figure 4) en 1561, tentative de la régente Catherine de Médicis d’arriver à un accord entre catholiques et protestants, ainsi qu’à la troisième session du Concile de Trente convoqué en réponse aux questions de Martin Luther : le Cardinal de Lorraine fera le discours final. 

De ce concile, véritable déclaration de guerre contre le protestantisme, Charles reviendra avec la conviction de devoir en appliquer toutes les décisions en France et en Lorraine.

Il semble que ce soient les catholiques messins qui les premiers aient orienté l’intervention du Cardinal vers la Lorraine en souhaitant la création d’un collège à Metz, dirigé contre la Réforme. Ayant évoqué cette création devant le roi de France, lors d’une visite de celui-ci à Reims, cette demande est favorablement accueillie. Les Messins proposent un lieu d’installation au niveau de la Cour d’Or. Cette sollicitation embarrasse le Cardinal qui redoute une concurrence avec l’Université de Reims qu’il a créée en 1548. La question est posée à nouveau lors de la visite de Charles IX à Metz en 1569. Cette fois, le Cardinal en réfère au duc Charles III. Celui-ci propose de créer une université en Lorraine, qui n’en possède pas. En effet, cette lacune entraîne des problèmes difficiles pour l’éducation de la jeunesse lorraine qui doit s’exiler, avec la tentation de ne pas revenir. La ville de Pont-à-Mousson est très vite proposée car elle occupe une position centrale par rapport aux trois évêchés de Toul, Metz et Verdun. De plus, des bâtiments importants avec une église, propriétés des Antonistes, seraient facilement disponibles sur la rive droite de la Moselle. Le Cardinal sollicite les Jésuites dont il est le protecteur et qui, depuis le colloque de Poissy, ont ouvert de nombreux collèges en France et se sont faits une spécialité de l’enseignement et de la défense du catholicisme. Profitant de ses séjours à Rome, il prend contact successivement avec les papes Paul V puis Grégoire XIII. Il rencontre également le Général de la Compagnie François Borgia. Il doit vaincre les réticences des Jésuites de France qui sont submergés par les demandes d’enseignants, d’autant que le cardinal est exigeant. Il désire accueillir à Pont 70 jésuites chargés d’enseigner la philosophie, la rhétorique, la grammaire, la langue hébraïque, les mathématiques… Cette requête motivée du duc Charles III et du cardinal aboutit à la bulle de fondation de l’Université de Pont, « In superemminenti » (1572) par Grégoire XIII, qui reprend la plupart des propositions du Cardinal. Le financement est également prévu avec la sécularisation de l’abbaye bénédictine de Gorze, fort mal en point, jusqu’à concurrence de 1500 écus d’or avec une même somme provenant de l’évêché de Metz ainsi que d’autres donations. Cette bulle accorde à Pont des privilèges comparables à ceux des universités de Paris et de Bologne.

Le Cardinal va mettre plusieurs années à convaincre les Jésuites de mettre en œuvre cette université. Il va devoir diminuer ses prétentions, en particulier sur le nombre d’enseignants. Il enverra plusieurs fois de l’argent pour inciter les Jésuites à se mettre en route, rencontrera les sommités françaises de l’ordre, le Père Auger, grand promoteur des collèges, le Père Edmond Haye, provincial de France, qui deviendra le recteur de l’université, et Maldonat qui jouera plus tard un rôle essentiel dans la réglementation de cette université (réunion à l’abbaye de Saint-Denis). Le souhait du Cardinal est de voir l’enseignement débuter à la rentrée 1574 malgré des retards entraînés par la mort du roi Charles IX, et les épisodes de famine ou de peste qui perturbent les déplacements. Le transfert des propriétés des Antonistes (commanderie et église) n’est acté qu’en mai 1574, et les travaux d’adaptation sont encore à faire. Le Cardinal mobilise l’évêque de Verdun à deux reprises pour promulguer la bulle papale à Pont, espérant ainsi faire pression sur les Jésuites. Avec le duc, il fait inscrire deux de ses neveux comme « escholiers » au futur collège, évoque la possibilité de participation de religieux étrangers. Il est intransigeant sur la qualité des enseignants qui doivent venir, et n’hésite pas parfois à revenir sur ses exigences lorsqu’il a obtenu un début d’accord. Il doit encore vaincre la résistance du nouveau responsable des Jésuites en France, le R.P. Everard Mercurian, peu favorable, c’est le moins que l’on puisse dire, à l’ouverture des facultés de droit et de médecine où les enseignants seraient forcément des laïcs avec tous les risques concernant leur appartenance religieuse. L’expérience de Tours où les étudiants de droit et de médecine sont indisciplinés, et où de nombreux étrangers viennent sans contrôle de leur orthodoxie religieuse, sera présentée au duc Charles pour le dissuader de persévérer dans son souhait d’ouvrir ces deux filières. Le Père Maldonat sera le pourfendeur de cette ouverture. 

Finalement, le Père Auger se met en route le 23 octobre 1574 et, le 9 novembre, l’arrivée des premiers enseignants est officielle. Elle est loin d’être triomphale : les bâtiments ne sont pas prêts et les Jésuites doivent s’installer au niveau du « château d’Amour » (figure 5) et chez des particuliers. Le pont qui traverse la Moselle et qui a donné son nom à la ville, se trouve coupé à la suite de difficultés liées à la religion : afin d’empêcher la jonction de deux groupes situés de part et d’autre de la Moselle, le duc d’Aumale a fait sauter une des arches. Malgré ces aléas et d’autres liés à un approvisionnement dépendant de sympathisants des réformés qui répandent de fausses histoires sur les Jésuites, ceux-ci ne manifesteront jamais leur désappointement devant cet accueil. Au contraire, les témoignages de leur satisfaction sont nombreux.

 

5 : le château d'Amour

Pont-à-Mousson, place Duroc actuelle

 

Le choix du recteur ne fut pas des plus facile. Plusieurs personnalités de la Compagnie furent pressenties, mais finalement le Père Haye fut retenu et arriva accompagné de 13 Jésuites, suivis rapidement de 8 autres. Les premiers cours vont débuter modestement le 1er décembre 1574 avec 60 élèves répartis en trois classes de grammaire et un cours de théologie où l’on trouve un fils du duc et le fils du comte de Vaudémont. 

Cette ouverture ne va précéder que de quelques jours le décès, le 26 décembre, du Cardinal dont la ténacité a été couronnée de succès. Les difficultés ne sont pas pour autant terminées : les Jésuites ne franchissent la Moselle que le 3 mars 1575 pour prendre possession des locaux de la rive droite. La bulle d’installation est proclamée ce même jour par l’évêque de Verdun. Le décès de Claude de Valois, duchesse de Lorraine, très favorable aux Jésuites, puis celui d’un autre soutien, l’évêque de Verdun, font entrevoir des difficultés, mais le duc lui-même rassure les Jésuites et leur promet son appui. Les épidémies et la famine continuent de ne pas faciliter les choses en retardant ou en interrompant les cours (1575 & 1576).

Malgré cela, l’Université de Pont va connaître un départ favorable avec la visite de nombreux étrangers, Français, Allemands, ce qui amènera Marie Stuart, alors prisonnière, à fonder un séminaire de missionnaires écossais dans la ville. L’ouverture des facultés de droit puis de médecine demandera encore du temps et bien des efforts.

 

Remerciements à Mrs Delon et Bauer qui ont communiqué leur traduction du texte de la plaque de l’université.

Sources :

• Abbé Charles Hyver, « Maldonat et les commencements de l’Université de Pont-à-Mousson (1572-1582) », Imprimerie Collin, Nancy, 1873.

• Abbé Eugène Martin, « L’Université de Pont-à-Mousson (1572-1768) », Berger-Levrault & Cie, Paris-Nancy, 1891.