` menu   

Quarante ans de réanimation et de médecine d’urgence

Jubilé du Professeur Alain Larcan (22 octobre 1997)

 

Annales Médicales de Médecine  (1998)

 

 

C'est un exercice toujours périlleux et plein de nostalgie, celui « des voyages impossibles dans le temps » dont parle Marcel Proust, que de se pencher sur l'essentiel de sa carrière médicale : 40 ans de réanimation et de médecine d'urgence. C'est tout un programme... mais... rétrospectif.

Fugit irreparabile tempus - Comment ne pas s'incliner devant cette évidence que la vie moderne accentue probablement, tout en la rendant impalpable et presque virtuelle ; fuite du temps inexplicable, selon Pascal, vision fugitive, intuitive tout au plus selon Bergson, il me faut bien justifier par allusion un doctorat de philosophie !

Pour « exécuter de grandes choses, il faut vivre comme si on ne devait jamais mourir ». Telle est cette pensée de Vauvenargues, soigneusement notée par Charles de Gaulle dans ses carnets ; toutes choses égales par ailleurs, il en est un peu de même de la fin administrative d'une carrière, quand on sait la retraite programmée par l'état-civil sans y croire...

Il arrive évidemment ce moment de la vie où il faut tirer le rideau. Acta est fabula. Même si l'acteur grand ou petit, sincère ou cabotin, espère toujours être rappelé sur scène !

J'ai cru longtemps en contemplant les peintures qu'il y avait quatre âges dans la vie et que j'atteignais l'hiver ; comme disait un humoriste, j'entre dans l'hiver à force de printemps ! Mais je me console un peu à la vue d'une peinture de Baldung Grien qui figure les sept âges de la vie. Alors, je me dis qu'il y a encore quelques places entre la 4e et la 7e. Je constate que beaucoup de mes contemporains attendent, espèrent, préparent avec soin une retraite souvent prématurée. J'en demeure surpris, car je crois néfaste et de plus anti-économique pour les individus comme pour la nation de prendre une retraite précoce. On ne s'est pas suffisamment préoccupé en médecine des réorientations de carrière après une phase de grande responsabilité. Pourquoi ne pas devenir des consultants reconnus et officiels, animant justement les consultations pour le plus grand bénéfice des patients et des étudiants ?

Il ne s'agit pas aujourd'hui d'une remise de prix ou de décoration mais d'un jubilé universitaire mettant fin à 47 ans de services, bons et loyaux je crois, au service de l'État et d'abord de la collectivité universitaire et hospitalière. Le doyen de cette faculté, le Professeur Roland, les organisateurs et en premier lieu le Professeur Pierre-Edouard Bollaert et moi-même avons tenu à y associer tous ceux avec lesquels j'ai travaillé dans le domaine médical parfois élargi.

Il y eut dans cette Faculté de nombreux départs en retraite et hommages souvent assortis autrefois de l'inauguration d'un médaillon et circonstance heureuse, ce qui n'est pas toujours le cas... du vivant du principal intéressé ; mais les jubilés universitaires sont plus rares d'autant qu'il faut étendre la période universitaire à l'entrée dans l'université, en 1947 en ce qui me concerne, pour atteindre la limite jubilaire fixée par la loi hébraïque à 50 ans. J'ai retrouvé dans la revue médicale de l'Est de 1911 le texte de l'allocution d'Hippolyte Bernheim justement à l'occasion de son jubilé ; grand interniste aux préoccupations cardiologiques et neuropsychiatriques, il s'était vivement opposé à Charcot et à l'école de la Salpétrière. Léon Daudet dans ses Morticoles relate la querelle homérique entre les deux hommes. Babinski qui fut le syndic de faillite de la Salpétrière, assez mauvais perdant, et habituellement mieux inspiré, ironisera sur la « Faculté de village », notre Faculté. Aujourd'hui, les historiens retiennent l'interprétation de Bernheim et rappellent le rôle majeur de l'école médicale de Nancy, presque contemporaine d'ailleurs de l'école artistique de l'art nouveau. Dans l'histoire des idées médicales, il aurait d'ailleurs été intéressant de montrer l'intérêt de Nancy et de la faculté mère de Pont-à-Mousson pour l'hystérie, car entre Hippocrate et Bernheim, il y a Charles Lepois, Carolus Piso, doyen de la faculté mussipontine qui mourut victime du devoir en soignant les pestiférés. Je voulais rappeler avec ces deux noms les dates essentielles pour notre Faculté de 1572 ou 1592 selon que l'on considère l'université ou la faculté de médecine et celle de 1872 du transfert ou transfèrement de la faculté de Strasbourg à Nancy.

Ma carrière fut donc celle d'un professeur, je préfère ce titre à la dénomination d'enseignant de rang A et celle d'un médecin des hôpitaux, je préfère cette dernière à celle de praticien. Et je préfère aussi la succession des deux titres jumelés au sigle administratif de PU-PH que nous adoptons comme une abréviation qui n'est même pas une apocope, sans protestation ni murmure. J'ai entendu parler de cette Faculté qui fut pour moi l'Alma mater depuis mon jeune âge car, étant orphelin de guerre, je fus élevé à partir de 1940 par mon grand-père, Albert Fruhinsholz, professeur d'obstétrique, accoucheur très réputé, fondateur de la maternité départementale Adolphe Pinard, aujourd'hui maternité régionale. J'accompagnais parfois mon grand-père à la maternité ; l'arrivée du patron obéissait autrefois à une sorte de cérémonial qui ne manquait pas de m'impressionner, liturgie qui comme d'autres plus essentielles |encore ont disparu. J'assistais en 1943 à sa dernière visite et à sa dernière leçon. La maternité avait été occupée aux 3/4 par la Wehrmacht qui l'avait jugée l'établissement le plus moderne de Nancy et mon grand-père avait courageusement et véhémentement protesté auprès des autorités d'occupation en écrivant au général Von Stupnagel : « je ne suis qu'un vaincu, mais je sais ce qu'imposent les lois de la guerre et les conventions internationales de la Croix-Rouge ». Sa maternité avait préfiguré dès 1929 le temps-plein hospitalo-universitaire et l'insertion du régime des cliniques au sein de l'hôpital public. Fait notable, il assurait comme dans les hôpitaux militaires la direction générale avec un adjoint, directeur administratif et il marquait beaucoup d'intérêt pour l'enseignement des élèves sages-femmes trouvant que cet enseignement lui avait apporté plus de satisfactions que celui dispensé aux étudiants. Il était un excellent professeur, créateur de formules et dessinateur hors pair. Très respecté, il entretenait cependant avec la Faculté qui comptait à l'époque au plus une vingtaine de titulaires des relations distantes et sans chaleur, ayant estimé certaines nominations nuisibles à la renommée de la Faculté. Il ne revint jamais à la maternité et arpentant Nancy à pied, je crois qu'il évitait toujours le quartier Saint-Pierre, estimant sans doute que l'on ne peut être et avoir été.

Je suis le treizième médecin de ma famille et je le dis, non sans une certaine fierté, le cinquième académicien car mon arrière grand-père A. Pinard et deux grands-oncles Alexandre Couvelaire lui aussi obstétricien et Victor Morax, célèbre ophtalmologiste et pastorien appartenaient comme A. Fruhinsholz à l'Académie Nationale de Médecine, c'est dire que « nourri dans le sérail, j'en connais les détours... » Je suis heureux que dans cette Faculté avec Thierry Conroy la présence familiale se maintienne dans une discipline qui n'est ni l'obstétrique, ni la réanimation mais l'oncologie.

Le nom d'Adolphe Pinard est connu comme celui de la figure de proue de l'obstétrique mais il est surtout le père de la puériculture. Soucieux d'une puériculture non seulement après la naissance mais pendant la grossesse, et même avant la procréation, soucieux d'obtenir des naissances nombreuses et des enfants en bonne santé, il avait fondé la société d'Eugénique ou plutôt comme il la définissait l'Eugennétique.

Très éloigné des idées sulfureuses des Chamberlain, des Gobineau, des Vacher de Lapouge, ami intime de Charles Richet, prix Nobel, souvent plus imprudent dans ses déclarations, il a été rapproché bien à tort dans un article récent de l'Événement, d'Alexis Carrel (les rêves de Pinard et d'A. Carrel) dont on doit, je crois, déplorer par ailleurs la damnatio memoriae. Pinard n'a jamais préconisé des mesures de stérilisation ou d'élimination eugénique. Il se souciait seulement de la qualité de l'œuf humain en veillant à la santé des procréateurs. Comment l'en blâmer ? De plus, ce libre penseur qui fut député radical socialiste de Paris et doyen d'âge de la chambre, était un farouche adversaire de l'avortement. Même si le prénom est difficile à citer, et si le nom peut prêter à sourire, l'œuvre d'Adolphe Pinard ne doit pas être oubliée et d'abord à la maternité qui est placée sous son égide.

J'ai été élevé dans une ambiance austère, marquée par les sentences classiques Age quod Agis ; Labor Omnia Vincit improbus. J'en ai probablement été marqué très tôt considérant le travail surtout intellectuel comme un devoir puis un peu comme un plaisir, peut-être aussi comme une drogue, au moins comme un repos. « Travail ô mon seul repos », écrivait Georges Duhamel qui avait fait la guerre de 1914 en compagnie de mon grand-père.

Je crois que le travail est bien la seule chose que l'on ne regrette jamais et dans cette société qui annonce le « crépuscule du devoir », je me réfère à l'Ecclésiaste où il est écrit : « mon cœur trouvait sa joie dans mon travail... »

Il y a toujours un prélude à l'enseignement supérieur. Ce sont d'abord les années de guerre au Lycée Henri Poincaré, lui aussi occupé aux 3/4. J'y ai effectué de solides études classiques latin-grec-allemand, seule langue vivante enseignée dans la zone interdite, ce qui ne me permit pas en dépit d'efforts trop tardifs et disproportionnés avec le résultat, de maîtriser l'anglais de communication, gros handicap pour les réunions internationales.

J'étais le bon élève et même le très bon élève mais contrairement à la règle énoncée par Jean Tulard, je crois ne pas avoir été un mauvais petit camarade : tableaux d'honneur, félicitations, mentions fréquentes au palmarès, mention bien au premier bachot et très bien au second avec notes équilibrées dans toutes les matières. Je garde un souvenir précis et reconnaissant à des maîtres excellents : Holvec, Martinelli en Lettres, Chassang qui se rappelait dans l'Est Républicain de deux élèves ayant fait une brillante carrière Jacques Lang et moi..., Chambelland en philosophie, Legras (Note de B. Legras ; il s’agît de Félix Legras, père de Jean Legras et grand-père de Bernard, professeur à la faculté de médecine), Demary surtout en mathématiques ; et en histoire Baumont et Taveneaux avec lequel je devais par la suite nouer des liens de solide amitié.

Sans état d'âme, après quelque hésitation, carrière militaire ? carrière administrative ? j'optais pour la profession majoritaire dans ma famille. Premier contact avec l'enseignement supérieur au PCB en Faculté des sciences ; ce tronc commun initiatique avait sa raison d'être, il aurait dû être maintenu et adapté et aurait évité au moins en partie le malaise et l'échec du premier cycle.

À la Faculté de médecine, je me suis trouvé d'emblée en parfaite adéquation entre mes possibilités intellectuelles et les diverses matières du programme. Toutes m'ont intéressé surtout quand elles étaient enseignées par des maîtres comme A. Beau, R. Collin, C. Franck, L. Gougerot, L. Kellersohn, P. Florentin. Je m'intéressai à tout avec plus d'affinité pour les sciences physico-chimiques que morphologiques et physiologiques.

Il s'agissait alors d'un véritable enseignement supérieur portant sur une partie seulement du programme, le reste étant appris dans les manuels.

Mon livret universitaire ne comporte aucune note inférieure à 9 sur 10 tant à l'écrit qu'à l'oral. À ce sujet, je pense dire que la suppression de tout oral dans les études de médecine est une faute capitale. Une seule épreuve de travaux pratiques fut à repasser, celle d'obstétrique... Je dois dire que la première fois, observé par l'état-major des moniteurs, dirigé par celui qui devait devenir un grand ami, Marcel Ribon, je me troublais dans la manœuvre des cuillères, et devant leur étonnement, leurs remarques simultanées, leurs questions complémentaires, je crois m'être mis pour la seule fois de ma vie à répondre au hasard. Par la suite, je fis les deux accouchements réglementaires sous le contrôle des sages-femmes et je devins durant de longues années, consultant interniste de la maternité auprès des Professeurs Vermelin, Hartemann et Richon qui avaient tous été élèves et collaborateurs de mon grand-père. Je crois même avoir fait dans ce domaine quelques publications intéressantes et c'est avec fierté que j'apportais à mon grand-père des articles écrits dans la revue Gynécologie-Obstétrique.

Les études alors s'intriquaient étroitement avec la vie hospitalière. La suppression de l'externat et la réforme de l'internat dit de spécialité ont été deux facteurs de décadence des études médicales. Je ne voudrais pas jouer l'égrotant radoteur et me comporter en permanence en Laudator ternporis acti. Mais mon double rôle d'observateur et d'acteur me permet de porter ce jugement sévère et désabusé.

J'avais préparé très sérieusement - 14 heures par jour de travail, samedi et dimanche compris - les concours de l'externat et de l'internat. Je fus major aux deux.

Je surpris mon jury d'externat en parsemant copies ou exposés de détails piquant la curiosité sur une toile de fond très classique. Dans la copie d'anatomie (nerf facial), je précise en décrivant le trou dit vidien qu'il doit son nom à l'anatomiste Vidus Vidius, détail qui ne figurait ni dans Testut ni dans Rouvière et qui était ignoré des chirurgiens membres du jury. Ils suspectèrent une érudition canularesque et décidèrent de vérifier et de me donner 20 si c'était exact et 0 si c'était inventé. Bref, ce que les éditeurs de l'américain Sokal se moquant des intellectuels français auraient dû faire lorsqu'ils reçurent l'article truqué qui déconsidère la psychosociologie moderne. J'étais sans inquiétude car je n'avance guère que ce que je sais. À l'oral, je tire : œdème aigu pulmonaire et après avoir évoqué le signe de Fouineau ou picotement laryngé, je déclare que Charcot est mort d'œdème aigu pulmonaire et j'ajoute la précision, au Lac des Settons dans le Morvan. Je suis allé depuis au Lac des Settons, une plaque rappelle cet événement. Je n'avais guère de mérite ayant simplement lu avec attention l'excellent livre de sémiologie écrit par celui dont j'allais devenir l'élève direct, Paul Michon et dont la maison familiale était à Alligny dans le Morvan. II suffisait de lire, de retenir et de l'exprimer...

À l'internat, j'étais attendu car on prenait des paris comme pour des chevaux de course. Mon maître Hamant étant du jury, j'avais été son stagiaire dès la sortie du PCB où gâchant du plâtre au milieu des bagatelles de la porte je faisais de la gypsothérapie sans le savoir comme M. Jourdain faisait de la prose ! Puis j'avais été son externe et même son anesthésiste. Il déclare d'entrée de jeu « Larcan terminera major avec 10 points d'avance sur le second ». Le résultat fut en effet celui qui avait été annoncé d'une façon que je jugeais fort imprudente.

Nommé interne et devant faire 18 mois de service militaire, étant célibataire, je fis à mes frais ou plutôt à ceux de ma famille un séjour parisien car les hospices n'admettaient à l'époque aucun stage de 6 mois et bien entendu aucun échange rémunéré avec un autre centre hospitalier. Je fréquentais la Salpétrière (Alajouanine, Garcin) et l'hôpital Cochin (R. Moreau) et pu nouer des relations qui se retrouvèrent plus tard.

Mais en égrenant ces souvenirs, il me faut parler des amis de toujours, la bande à Larcan comme on dit la bande à Bonnot, la bande à Baader..., moins dangereuse et parfaitement soudée. Elle comportait trois mousquetaires qui comme chacun sait étaient quatre, j'ai nommé Jean Schmitt, Jean Simonin, et Pierre GrandJean qui étions liés d'amitié depuis le lycée ; souvenirs d'externat, partagés avec Maruejol, Metz, Edith Géminel, Jean Duheille, Burdin, puis d'internat, toujours très vivaces en dépit de l'âge, de l'éloignement, de voies différentes ; je pense à mes anciens, ceux qui étaient chefs quand nous étions internes, Jean Marchal, Jean Sommelet, Philippe Hahn, Jean Lepoire, Guy Rauber, Jean Beurey, Michel Pierson, Pierre Lamy ; aux promotions des années 51-53 : Jean et Simone Brunotte, Claude et Jacqueline Chardot, Robert Fritsch, Claude Colette, Claude Perrin, Philippe Vichard, P. Tridon et tant d'autres...

J'ai effectué mon service militaire à l'hôpital des armées Legouest à Metz dans le service admirablement tenu et dirigé par le médecin commandant Georges Ablard qui devait devenir inspecteur général du service. J'y ai appris beaucoup dans une ambiance de travail bien organisé et de camaraderie qui prolongeait celle de l'externat et de l'internat puisque nous nous retrouvions avec Claude Huriet et Jean-Marie Gilgenkrantz.

À mon retour, j'eus la peine de perdre deux de mes maîtres qui avaient guidé les débuts de ma carrière : Jean Girard humaniste, érudit, disert et bienveillant ; Paul-Louis Drouet dont j'avais été le stagiaire attentif. Il m'a appris à palper un foie et à examiner la peau. Je fus son dernier interne veillant à son chevet lors de sa maladie et lui faisant ses perfusions.

Je fus aussi à la Maison de Secours durant 18 mois l'externe puis l'interne de René Herbeuval, ce grand gériatre qui était en quelque sorte le Prince de la jeunesse étudiante médicale. Je présume que Brown-Sequart, Voronoff, Bogomoletz ou Aslan lui ont communiqué leurs secrets.

Je pense aussi à un maître vibrionnant, Paulin de Vezaux de Lavergne, ancien agrégé du Val-de-Grâce, à un savant authentique René Wolff et à ceux dont je ne fus pas le collaborateur direct et qui me marquèrent leur confiance : Antoine Beau, Louis Pierquin, Pierre Louyot, Nathan Neimann.

Mais je dois surtout beaucoup à Paul Michon qui m'accueillit à la clinique médicale A. C'était un homme d'une rare distinction et d'une grande culture médicale et générale, proche des patients, des siens et de ses élèves. Je ne peux m'empêcher de vous relater un petit secret le concernant qui montre à la fois son sens de la précision médicale et sa délicatesse. Un jour que nous montions le petit escalier qui menait au petit bureau et que je partageais avec lui, à son invitation - le bureau qui avait été celui du grand Bernheim - je constate qu'il s'essouffle. Il me dit : Larcan, j'ai un rétrécissement aortique calcifié (on ne disait jamais je suis porteur...). Je vais prochainement décompenser et les interventions chirurgicales ne sont pas encore au point. La nuit, le souffle est si bruyant que je crains qu'il ne réveille ma femme !

Nous entourions notre maître avec une équipe qui a fait quelque bruit dans le Landerneau médical et universitaire : C. Huriet à nouveau, F. Streiff, P. Vert, P. Gaucher, O. Guerci, A. Peters et au centre de transfusion P. Alexandre, L. Remigy, C. Kling.

Je garde un vif souvenir de mon concours d'agrégation en 1958 ; en raison de ma jeunesse, maladie dont on finit toujours par guérir, on pensait volontiers à un galop d'essai. Je me fis remarquer par mon ardeur pédagogique. « Vous auriez fait un excellent avocat » me dit un des membres du jury qui ne m'était pas favorable ; plusieurs maîtres parisiens, M. Bariety et A. Lemaire me prirent sous leur aile protectrice.

Nous formions un groupe ardent et soudé avec C. Coury, P. Choubrac, P. Pêne, J. Debray, J. Le Ménager.

J'ai eu la passion de l'enseignement même si je suis moins enthousiaste aujourd'hui. J'ai toujours cherché à donner un enseignement précis, documenté, vivant et renouvelé. Quand j'étais chef de clinique, je faisais tous les matins selon le conseil que m'avait donné mon grand-père un exposé sur un sujet toujours différent et puis chargé de l'enseignement de pathologie générale, je changeais chaque année le thème du cours : des désordres électrolytiques, de la thrombose, du coma.

J'ai ressenti le séisme universitaire puis le séisme national de 1968 comme un phénomène irrationnel et surtout comme un choc et même un affront dont je crois éprouver à distance les conséquences psychologiques de ce que l'on appelle savamment le stress post-traumatique de celui qui perd repères et valeurs qui l'ont guidé jusque là ; il me fallut aussi m'accommoder de la crise de l'église catholique post-conciliaire et maintenant de la crise de la nation... ; cette crise d'apparence spontanée et d'apparence seulement, a introduit dans l'université, même en médecine, le conflit des générations, bouleversé les relations de compagnonnage, supprimé les oraux et les contacts entre professeurs et étudiants en introduisant la démagogie des uns et la suspicion des autres, contribué à primariser 1er et 2e cycles d'enseignement et aussi à un certain déclassement de l'université française ; introduit sous prétexte de démocratie des principes de cogestion qui alourdissent le fonctionnement et multiplient à l'infini les parlotes parfois qualifiées de conseils ; de plus, en dépit de harangues enflammées relayées parfois par des manifestations de mes, il règne dans l'université un conformisme pesant, celui de la pensée unique ; on n'y entend que le chant de la tribu ; Renan se plaignait que dans l'université de son temps, il n'avait trouvé que le style et le talent, eux aussi auraient-il disparu dans la tourmente ! Nous venons d'avoir plusieurs prix Nobel de sciences physiques mais nous en attendons depuis Dausset en biologie. Il est vrai que les oppositions et les chausse-trappes  commencent en France, incapable de présenter un candidat ou une équipe et de  renouveler la proposition jusqu'au succès...                                                                             '

La création d'un service de réanimation et d'une chaire de pathologie générale et réanimation fut de conquête difficile car il s'agissait d'une création dans une discipline nouvelle en transfert de la chaire de médecine légale. I1 fallait l'avis du comité consultatif en session plénière et je dus rencontrer tous ses membres dans la France entière. J'ai d'ailleurs toujours connu des élections difficiles mais victorieuses parfois à une voix de majorité.

Nous avons tout à l'heure fait une incursion dans toutes les disciplines où j'ai sévi depuis une quarantaine d'années : pathologie générale, médecine interne, réanimation, médecine d'urgence, toxicologie, hémorhéologie, microcirculation, médecine militaire, médecine de catastrophes.

Je pense avoir eu un fil conducteur et une inspiration directrice autour du raisonnement physiopathologique et de la notion d'urgence.

- Pour la recherche clinique, je pense avoir fait le choix très tôt par curiosité et affinité pour les sciences physico-chimiques. J'étais très bon en physique, surtout en biophysique et j'avais été le préparateur de R. Wolff qui n'était peut-être pas un bon professeur mais qui était un savant authentique.

- En réanimation, en médecine d'urgence et de catastrophes, j'appartiens au groupe des pères fondateurs avec quelques autres dont beaucoup sont ici ou m'ont adressé des messages : Maurice Goulon, Maurice Gara, Jean-Marie Mantz, Pierre Huguenard, Louis Lareng, Ph. Auzépy, F. Wattel.

J'ai beaucoup publié, beaucoup écrit, peut-être trop. On y gagne la réputation d'un polygraphe, touche à tout..., je vous laisse achever. Bien sûr, comme il est habituel en médecine, il s'agit le plus souvent d'un travail d'équipe et quand nous étions dans l'ambiance productive de la clinique médicale A, nous écrivions de nombreux articles que nous signions « en bonne pâte » : Larcan, Huriet, Streiff... et Michon...

Mais j'ai gardé soigneusement plus de 600 manuscrits entièrement rédigés par moi. Un autre forçat intellectuel, mon modèle secret ! Pic de la Mirandole n'avait-il pas rédigé 900 thèses avant 30 ans, personne n'a jamais fait mieux. De omni re scibili !

Sans doute eut-il mieux valu être l'homme d'une ou deux questions, les approfondissant sans cesse dans les articles, les conférences, les communications ; j'ai eu souvent la surprise ayant ouvert un chapitre et même rédigé une monographie de me voir seul cité par les « suiveurs » puis progressivement éliminé des bibliographies. L'autre inconvénient d'une longue carrière est que l'on est finalement contraint d'accepter des vues contraires à celles que l'on avait défendues antérieurement, changement de paradigme parfois, modes changeantes surtout.

La rédaction des consensus thérapeutiques à valeur contraignante est souvent un chef d'œuvre d'hypocrisie scientifique éliminant les positions tranchées et les formules originales. J'ai connu cela pour l'emploi des catécholamines dans les états de choc, de l'héparine dans les coagulopathies de consommation.

J'ai beaucoup appris aussi au contact des autres dans un cadre pluridisciplinaire, la culture médicale n'étant qu'une perpétuelle osmose.

- J'ai été longtemps consultant dans divers services : chirurgie générale et cardio-vasculaire chez le Professeur Chalnot, urologie chez les Professeurs André et Paul Guillemin, ophtalmologie chez les Professeurs C. Thomas et J. Cordier et, comme il a déjà été dit, maternité.

- J'ai fréquenté régulièrement le Collège français de pathologie vasculaire avec Claude Olivier, Jean-François Merlen, Jean-Daniel Picard, Michel Vayssairat, Jean Natali, Louis Orcel, Michel Samama.

- Je me suis senti intégré au milieu médical militaire, surtout l'école du Val-de-Grâce chez Gabriel Duchesne, Henri Baylon, Raymond Coirault ; j'y retrouvais mes amis de faculté, futurs médecins généraux inspecteurs Jean Thomas, Antoine, et aussi mes amis Davidou, Lefebvre, Giudicelli, Salvagnac ; la brigade des sapeurs-pompiers de Paris avec Robert, Noto, Julien ; la brigade logistique du premier corps d'armée, avec le général Poty, le médecin général Eme, Daniel Bitsch, et encore d'autres camarades dans diverses activités, au service de santé de la VIe région (au CIRSSA) ; aujourd'hui représenté par le médecin général inspecteur Guilloreau ou de la première région aérienne représentée par le médecin général Borredon ; la 29e session de THEDN sous la direction des généraux de Guillebon et Buis avec les généraux Bourdis, Mainard, Favreau, l'amiral Philippe de Gaulle, l'intendant général Fassier.

Enfin, je voudrais évoquer l'Académie nationale de médecine à laquelle pour des raisons familiales je rêvais d'appartenir. François Streiff affirme, même m'avoir entendu très tôt dire que je ne m'arrêterais que lorsque j'aurais atteint ce but, c'est possible. L'histoire est belle mais je ne m'en souviens plus. Quo non ascendet ! par contre, je sais très bien que je n'ai pas voulu entrer en politique active parce les deux voies me paraissaient incompatibles. La seule élection facile de toute ma carrière fut celle de la présidence, peut-être parce que je n'y avais jamais pensé et que l'on me l'a offerte sur un plateau d'argent grâce en particulier à l'amitié agissante du Doyen J.F. Cier... L'Académie me vaut les amitiés de l'âge mûr, soigneusement entretenues par le dîner parisien du premier lundi du mois avec mes amis Louis Auquier, Maurice Mercadier, Jean-Charles Sournia ; une fois de plus nous refaisons le monde, enfin celui de l'Académie ; je suis heureux de retrouver ce soir ceux qui ont fait le voyage : Auquier, Blancher, Lefebvre, Natali ; et puisque nous parlons d'Académie, j'adresse mon confraternel message à mes amis de l'Académie de Stanislas et de la Conférence nationale des académies des sciences, lettres et arts.

Une pensée aussi pour la fondation et l'institut Charles-de-Gaulle où je travaille régulièrement dans une ambiance d'amitié et de fidélité. Je salue mon ami M. Pierre Messmer avec lequel j'ai une complicité d'écriture et qui a toujours été présent à mes côtés lors des événements marquants de ma vie. Je voudrais lui dire mon admiration pour ce qu'il a fait et continue de faire pour l'honneur et le rayonnement de la France et pensant à lui en toute sincérité, je crois comme Voltaire, que « l'amitié d'un grand homme est un bienfait des dieux ».

Je me tourne vers tous ceux qui ont tenu à organiser cette réunion amicale et sympathique, vers vous Monsieur le Doyen dont l'allocution m'a beaucoup touché ; vers vous Monsieur le Maire, cher André Rossinot, Président du Conseil d'administration du CHU, qui êtes mon confrère et mon ami. J'apprécie depuis longtemps votre sagesse, votre compétence, votre sens des décisions conformes à l'intérêt général, et j'ai souvent pu constater à Paris combien vous étiez connu et respecté. Vous êtes une chance pour Nancy et la Lorraine. Il ne faut pas la gaspiller dans un vertige autodestructeur.

Je pense à l'équipe, aux équipes du service et du SAMU avec lesquelles on a fait un bout de chemin ensemble et qui se sont dispersées en poursuivant leurs carrières dans d'autres services et parfois d'autres villes : Marcel Calamai, Henri Lambert, Marie-Claire Aug-Laxenaire, Jacqueline Helmer, Francine Jacob, Anne-Marie Camez-Voiry, Philippe Lelarge, Dominique Claude, Nicolas Delorme, Michel Maurizi, Bruno Maire, Marc Weber, Alain Gérard, Sonia Hoffmann... Je m'adresse à ceux qui sont restés à la maison-mère, le petit cercle, le premier cercle : Marie-Claude Laprévote-Heully, Pierre-Edouard Bollaert, successeur choisi et heureusement désigné, la cheville ouvrière de cette journée. Il connaît tous les rouages du service et du SAMU, il saura - j'en suis certain - entretenir le feu sacré de la recherche, conduire avec dynamisme l'équipe qui lui fait toute confiance, veillant à sa cohésion et à la qualité des soins ; en lui transmettant les pouvoirs, je sais qu'ils sont en des mains sûres qui feront honneur à notre CHU.

Et aussi bien sûr Philippe Bauer, Lionel Nace, Bruno Lévy, Jérôme Bocquet, Claude Varoqui, François Mougeolle, Philippe Atain-Kouadio.

J'ai eu l'occasion dans une réunion plus récente et plus intime de remercier tous mes collaborateurs et collaboratrices, surveillante-chef, surveillantes, infirmières, aides-soignant(e)s, permanencier(e)s, agents des services hospitaliers mais homme du texte écrit de la galaxie de Gutenberg, je me tourne vers les plus indispensables des collaboratrices, les secrétaires, et plus particulièrement Elisabeth Martin, Line Coccio et Nathalie Laine. Elles m'ont supporté si longtemps et ce n'est je pense, pas encore entièrement fini, avec mes exigences, mon écriture, mes ratures, mes corrections que je trouve plus nombreuses depuis le traitement de textes... J'en arrive à croire qu'elles m'aiment car l'amour n'est peut-être rien d'autre qu'un droit volontairement donné à l'objet que l'on aime de vous tyranniser, moi qui n'ai jamais puisé la moindre inspiration chez le « divin marquis ».

Je salue aussi tous ceux qui sont présents aujourd'hui ou qui m'ont adressé un message. Je suis très sensible à leur présence et à la chaleur de leur amitié. Je ne voudrais citer que ceux venus d'au-delà de l'hexagone : des Tom-Dom : Dr C. Léonard, de Belgique : Pr J. Trémouroux, du Luxembourg : Dr S. Hoffmann, Dr Schaus, d'Allemagne : Dr D. Morin, de Tunisie : Dr M. Jaafoura.

Je voudrais aussi me tourner vers ceux avec qui j'ai collaboré quotidiennement dans les jours ordinaires comme dans les circonstances d'exception.

J'ai nommé les sapeurs-pompiers et plus particulièrement ceux du corps urbain de Nancy. Nous avons recherché avec persévérance à créer, maintenir, développer, enrichir une intégration de tous les secours extrahospitaliers en rapprochant médecins de l'urgence et sapeurs-pompiers. Avec les sapeurs-pompiers sauveteurs-secouristes, les officiers et les chefs de corps, les médecins de sapeurs-pompiers, les directeurs successifs, les colonels Masson, Burgi, Lafourcade, Modéré et d'autres officiers, je pense au commandant Tournoux, au lieutenant-colonel Ruck, au lieutenant-colonel Horb, au commandant Barbier, au lieutenant-colonel Laska, nous avons fait je crois du bon travail à Nancy et aussi à Lunéville, à Toul et Pont-à-Mousson avec le capitaine Noël, dans un esprit de mise en commun de moyens, d'interconnexion, de partenariat et de codécision. Nous avons affiné les concepts de sécurité civile, élaboré le premier PMA, monté avec le CIRCOSC et le colonel Dossmann des exercices réalistes mettant sur le plateau jusqu'à 800 personnes et faisant travailler jusqu'à 7 départements. C'est la raison pour laquelle quand on critique les sapeurs-pompiers, que l'on veut remettre en cause leur part essentielle dans l'organisation des secours ou les cantonner dans des tâches ancillaires, excusez-moi je vois rouge !

Puisque j'évoque ce lien très fort qui lie dans cette ville et ce département SAMU-SMUR et sapeurs-pompiers, je voudrais relater deux affaires qui montrent que ce partenariat intelligent dérange certains parisiens. Georges Duhamel parlait du combat contre les ombres. Je crois avoir bien identifié ces ombres, je ne les nommerai, si vous le voulez bien, ni Trottinette ni l'Encorné...

Alors que je venais d'être nommé Agrégé, on me fit comprendre que ma présentation au médicat serait déplacée puisque l'intégration serait de droit. Je constituai un dossier que je croyais sans faille ; la commission spécialisée présidée par le Professeur Pasteur Vallery-Radot avait donné un avis favorable tout en s'étonnant du nombre de publications peu assorti à l'âge du candidat, mais le reproche était évidemment insuffisant pour refuser l'intégration ; celle-ci tardait toujours et je ne fus intégré, sans rétroactivité, qu'en même temps que mon ami Jean Schmitt nommé à l'agrégation trois ans après moi. Je vous laisse à penser les sommes perdues et le préjudice pour un jeune ménage. Je n'ai jamais déposé de recours et n'ai jamais donné de commentaire jusqu'ici. Je le fais aujourd'hui car elle éclaire l'attitude d'un certain bureau du « pentagone de carton » à mon égard et surtout à l'égard des sapeurs-pompiers. Mon grand-père inquiet avait alerté son ami Jacques Parisot qui avait ses grandes entrées au ministère et qui me fit recevoir très rapidement par le Directeur général de la santé, Monsieur Aujaleu. Mon dossier était sur son bureau et j'aperçois une note manuscrite qui se trouvait au-dessus. Nous sommes en 1963, le service SOS, premier SMUR de grande ville fonctionne depuis 1962. M. Aujaleu lit le papier avec étonnement, Laurette ou le cachet rouge ? Pourtant je n'ai ni tué, ni volé, ni dénoncé de juif pendant la guerre, ni attenté à l'honneur. Où travaillez-vous ? Je réponds : à l'hôpital. Ah, me dit-il, cette note souligne que vous ne pouvez être intégré puisque vous travaillez avec les sapeurs-pompiers, pour le compte des sapeurs-pompiers. Faut-il ajouter que les fonctions exercées au titre de la sécurité civile étaient gratuites et qu'elles prolongeaient en accord avec toutes les autorités de ce département mes activités hospitalières et universitaires. Je fus intégré dans les semaines qui suivirent, sans commentaires. Aucune question ne me fut posée. Si je n'avais eu accès à ce dossier, je n'aurais probablement jamais été intégré... et on pense en frémissant à l'impossible levée d'écrou d'Edmond Dantès, victime d'une dénonciation calomnieuse. De plus, elles démontrent les attitudes dogmatiques a priori, je n'étais que le grain de sable qui entravait le plan de cet agent qui ne sortait même pas de l'ENA, alors que rien ne fonctionnait encore, sauf à Nancy...

Le responsable de cette forfaiture est mort, n'en parlons plus mais les bureaux ont la mémoire du temps long et certaine note récente me fait penser que cette mémoire a pu être réactivée.

Deuxième évocation : l'honneur et le risque de notre métier de médecin et spécialement de l'urgence, c'est la responsabilité ; le chef de service assure celle de l'organisation et aussi sauf faute détachable, de toutes les interventions terrestres et aériennes (environ 15000 par an) auxquelles il convient d'ajouter appels et réponses téléphonées. Plusieurs collègues ont été inquiétés en justice à la suite de plaintes ou de simples suspicions. Ce fut aussi mon cas dans une affaire dont je ne vous donnerai pas le détail mais où l'organisation des secours avait été sans failles ; appel à Nancy, envoi simultané à 15 km du prompt secours sapeurs-pompiers local et du SMUR de Nancy ; rencontre sans problème des deux équipes mais décès dans un tableau d'hémorragie cataclysmique de la victime transportée. Or, je fus inculpé, curieusement pour avoir accès au dossier... Le procès de x devenait en effet celui du SAMU 54 si l'on avait suivi les conclusions d'un deuxième rapport d'expertise bourré d'erreurs grossières, rédigé par une de nos collègues pourtant elle-même directeur de SAMU au mépris de la confraternité élémentaire et de la solidarité des médecins de l'urgence, responsables de SAMU. Je n'ai eu aucune peine ayant rédigé ma défense, à obtenir un non-lieu. Mais cet épisode unique dans ma vie professionnelle m'inspire mépris et dégoût... « Hélas quel miel jamais n'a laissé de dégoût ». L'homme est un loup pour l'homme. Mais quelquefois, dans l'invidia medicorum, il faut mieux parler non de lupus mais de lupissima...

Je voudrais ajouter maintenant un chapitre au mal français de mon éminent ami Alain Peyrefitte.

J'ai mené un combat pendant 25 ans pour obtenir à Nancy un hélicoptère de secours sanitaire. Nous avions un SAMU et des SMUR performants, un CHU. Malheureusement, hélas, hélas, hélas, Nancy n'est plus le chef-lieu administratif de la région lorraine ni siège de région militaire. De ce fait, les hélicoptères bleus de la gendarmerie nationale sont stationnés à Metz et aussi à Dijon, siège autrefois de la 7e région. Ces hélicoptères ont été utilisés par les SAMU à titre gratuit et nous les avons nous-mêmes employés pour les transports uniquement secondaires avec médicalisation assurée par nos soins. Longtemps je n'ai voulu entendre parler que d'hélicoptère public ; j'avais des contacts réguliers avec la sécurité civile ; il n'y avait pas d'hélicoptère rouge dans tout l'Est de la France ; Monsieur Foulquié ancien sous-préfet de Briey, devenu directeur de la sécurité civile, me laisse entrevoir l'arrivée d'un appareil à Nancy. Malheureusement André Bord, devenu secrétaire d'État à l'Intérieur l'implante à Strasbourg où il est toujours. Il faut bien reconnaître qu'un hélicoptère était nécessaire pour faire bonne figure auprès de nos voisins allemands qui utilisent largement les hélicoptères quel que soit leur rattachement, selon leur disponibilité, dans des cercles concentriques et dont le financement avec tarif officiel est assuré entièrement par les assurances privées qui savent bien elles à la différence de Bebear et compagnie qu'il faut éviter les morts indues et les séquelles invalidantes !

Un moment, le Conseil général avait proposé de financer le transfert du peloton à de gendarmes de Frescaty à Essey avec construction de logements pour 21 gendarmes. Cette solution acceptée par le directeur de la gendarmerie le général Omnès, celui qui peut tout, disait mon ami le Préfet Pinel, fut repoussé pour des raisons de pure prestige par le Préfet de région. Alors direz-vous dans la capitale de l'AEAT, pourquoi ne pas utiliser les hélicoptères de manœuvre du 4e RHCS ou du 7e RHC ? Ce dernier existait encore, stationné à Essey, et avait en permanence des équipes Evasan que nous contribuions à former au SAMU, mais demandait un ordre préfectoral de type Orsec pour être mis en œuvre avec préavis d'une heure. Ils étaient donc inutilisables pour les missions individuelles ordinaires de type primaire ou secondaire. Comble de l'absurde, revenant en hélicoptère militaire et en uniforme, de Verdun où j'avais supervisé le dispositif des secours lors de la venue du Président de la République, j'apprends avec étonnement et indignation que le 7e RHC d'Essey depuis la dissolution du GALAT de Mulhouse détache 6 mois par an, en « standing by pass » selon l'expression consacrée, auprès du SAMU 21 de Dijon un de ces appareils dans le cadre d'une convention armée-santé et là où la gendarmerie avait déjà deux appareils. Il y avait d'ailleurs en France bien d'autres disparités et redondances tout aussi surprenantes. Constatant la situation ainsi bloquée, le préfet Carli (qui disait volontiers l'hélicoptère c'est Larcan, et Larcan c'est l'hélicoptère) prend la décision de louer à une firme spécialisée et compétente un appareil rouge spécialement équipé dont la gestion fut confiée au SOIS 54. Bien que ses missions s'étendirent à la région et au-delà, le financement pour les missions primaires reposera surtout sur les contributions des collectivités de Meurthe-et-Moselle et le mécénat de la Chambre de commerce de Nancy. Le Conseil régional qui après l'ouverture de Louvigny avait quelques remords à l'égard d'Essey nous poussa à cette opération mais réduisit de moitié les crédits promis. Tout fut compliqué par une décision subreptice d'inspiration européenne, n'autorisant plus que les biturbines à survoler les villes sans qu'on sache d'ailleurs très bien s'il s'agit de la sécurité des passagers ou de celle des riverains. Le plus clair de l'affaire est que le coût en est multiplié par 2,5 tant pour l'investissement que le fonctionnement. Dans ces conditions, la récente décision de l'agence régionale de l'hospitalisation de prendre en compte la totalité de la dépense pour un hélicoptère blanc assurant les mêmes missions et géré par le CHU peut être considéré comme un aboutissement logique ; mais rien de semblable ne nous avait été proposé jusqu'ici et comme il est dit dans l'Évangile « autre celui qui sème, autre celui qui moissonne ».

Ceci m'amène à constater l'évolution des idées en science comme en médecine :

- dans une première phase d'initiative individuelle le précurseur est considéré comme un rêveur utopiste, un agité, un arriviste, un empêcheur de tourner ou comme il est dit dans une collection connue de penser en rond. Certains pensent même que ce gêneur doit être enfermé, ou faire l'objet de mesures d'interdiction ;

- dans une seconde phase de luttes diverses les réalisations initiales sont confrontées à d'autres plus tardives et considérées comme plus acceptables. Les protagonistes s'affrontent mais lorsqu'il s'agit de décrocher aides matérielles et facilités de fonctionnement, les ouvriers de la dernière heure sont souvent les mieux traités ;

- dans une troisième phase de généralisation, tout le monde fait sensiblement la même chose dans un contexte dit de consensus mou, cependant que de multiples textes officiels régentent et normalisent ce qui existe le plus souvent. Le rôle des précurseurs est oublié ou volontairement passé sous silence ; il y a pire c'est la déformation des principes ou même le changement implicite des paradigmes. Les modifications d'allure minime semblent acceptables mais lorsqu'elles s'additionnent, c'est l'ensemble du dispositif qui peut en fait être mis en péril. Les déviances, réorientations, transferts de compétences, décisions subreptices obéissent à des forces obscures qui reflètent la recherche du pouvoir et la volonté de puissance, où excellent certains médecins et certaines administrations. Pour sauver l'esprit qui a présidé à l'organisation dans un véritable souci de décentralisation, d'économie des deniers publics, de sauvegarde de nos concitoyens, il nous faut éviter ces dérives, repréciser les buts et les moyens et faire travailler en bonne intelligence et loyauté les différents acteurs de l'urgence, médecins et sapeurs-pompiers en premier lieu dans un esprit de concertation, de coordination, et de partenariat.

Je ne voudrais pas que l'on puisse imaginer que cette effigie corresponde à une tendance paranoïaque de l'exaltation de l'ego et à la recherche de l'adulation... narcissisme latent, égotisme exacerbé, vedettariat condamnable... Autrefois ces représentations étaient plus habituelles comme en témoignent les galeries de bustes qui ornent, je n'ose dire encombrent, nos facultés et académies. Elle rappellera pour un temps tout au moins, ce que j'ai pu faire. On vous pousse un peu, parfois beaucoup, on vous déclare has been. Hans Selye qui avait beaucoup publié et qui continuait au-delà de la retraite une activité de laboratoire, passant des réactions d'adaptation à la calciphylaxie et au phénomène thrombo-hémorragique, me disait que ses interlocuteurs croyaient avoir à faire à son fils ou à son petit-fils !

Bien que ce ne soit pas la tendance de ce qu'il est convenu d'appeler l'art moderne, je crois qu'un bon portrait et qui plus est, un bon profil de médaille est celui qui ressemble au modèle et dans lesquels les créateurs et artistes ont insufflé l'esprit. Merci à mon excellent confrère de l'Académie de Stanislas, le maître Gilles Fabre de m'avoir consacré une de ses toiles, une de ses « passions » et qui a souhaité me témoigner son amitié en faisant un portrait à mon intention et à celle de ma famille. Cette médaille du Maître Réthoré, gravée pour la suite des temps, j'en félicite l'auteur et je remercie les organisateurs de cette journée, les souscripteurs, les auditeurs ; je les remercie surtout de m'avoir entouré de leur amitié chaleureuse qui s'est exprimée dans des conversations, des lettres, des messages et surtout par leur présence ; ils me rappellent que dans ce monde où l'hypertrophie des moyens contraste selon le mot de Paul Ricœur singulièrement avec l'atrophie des fins qu'il faut se rappeler la prière médicale de Maimonide : « Éloigne-moi, mon Dieu, l'idée que je peux tout », mais également qu'il faut viser haut en regardant les sommets, car disait le général de Gaulle, « ils ne sont guère encombrés ». Il ne vous restera plus qu'à dire, me concernant, et « monté sur le faîte, il aspire à descendre ».