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ICONOGRAPHIE DES SAINTS-MEDECINS

CÔME ET DAMIEN AU MUSEE D’HISTOIRE DE LA MEDECINE EN LORRAINE

 

Anne-Isabelle SAÏDOU et Georges GRIGNON

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Parmi les documents conservés par le Musée d’Histoire de la Médecine en Lorraine, entre les bustes, les cires dermatologiques, les instruments, les traités et les multiples portraits, six tableaux retiennent souvent l’attention du visiteur.

Il s’agit de six tableaux de forme octogonale, soigneusement peints, tous issus de l’ancienne Faculté de Pont-à-Mousson dont ils ornaient la salle des actes. Ils sont donc tous antérieurs à 1768, année au cours de laquelle la Faculté de Médecine fut transférée de Pont-à-Mousson à Nancy. Le doyen Beau estimait, mais n’en avait pas la preuve, qu’ils datent de la première moitié du XVIIe siècle.

Si la présence de portraits n’a rien de particulier dans une salle des actes, cette collection a pour originalité de présenter côte à côte des personnages à la fois historiques (Galien, Hippocrate, Schröder), légendaire (Hermès-Trismégiste) et religieux (Saint Côme et Saint Damien).

L’étude de ces six tableaux nous permettra d’avancer une hypothèse qui explique ces associations. Elle sera faite en trois parties, chacune d’entre elles étant consacrée à deux tableaux.

Penchons-nous donc tout d’abord sur la représentation de Saint Côme et Saint Damien.

On les retrouve dans le Musée sur deux supports : le premier étant bien sûr deux des 6 tableaux octogonaux, le second le petit sceau de la Faculté de Pont-à-Mousson.

Qui sont Saint Côme et Saint Damien ?

Frères jumeaux d’origine arabe et issus d’une famille noble et chrétienne, Côme et Damien sont nés au IIIe siècle à Egée en Asie Mineure actuelle. Forts habiles dans l’art médical, ils parcourent les villes et bourgades, guérissent les malades au nom du Christ. Ils exercent leur art gratuitement et deviennent ainsi les Anargyres, “ceux qui repoussent l’argent”.

Battant en brèche l’autorité du proconsul Lysias, juge en la ville d’Egée, ils subissent le martyre dont les différents épisodes sont purement légendaires : ils sont jetés enchaînés dans la mer, mais un ange rompt leurs liens et les ramène au rivage. Lysias les fait attacher à un poteau et ordonne de les brûler vifs, mais les flammes se retournent contre les bourreaux. On tente de les lapider et de les percer de flèches, mais les flèches et les pierres refusent de les frapper. De guerre lasse, Lysias les fait décapiter avec leurs trois autres frères vers l’an 287. Les restes des martyrs furent enterrés à Cyr et transportés plus tard en la basilique Saint Côme et Saint Damien de Rome. Ces saints ont été très honorés à Rome, à Byzance et en Orient.

L’empereur Justinien (527-565) guéri par l’intercession des deux Saints, orne leur église à Constantinople qui devient un lieu de pèlerinage. Le pape Symmaque (498-514) leur dédie un oratoire et Félix V (526-530) une basilique au Forum. Le culte est ensuite diffusé en Europe à partir de la légende dorée de Jacques de Voragine qui rapporte la greffe miraculeuse d’une jambe empruntée à un Éthiopien défunt au profit du sacristain de l’église Saint Côme et Saint Damien à Rome. Ce dernier atteint de gangrène gazeuse fut guéri et se retrouva donc avec une jambe noire, l’autre blanche.

Au XIIe siècle, lors des croisades, des reliques des deux saints sont offertes au seigneur de Luzarches qui les partage en France entre Luzarches et Paris. Les chirurgiens, dont la corporation est l’une des plus anciennes de France, choisissent alors pour saints patrons Côme et Damien et prennent comme principal engagement de consulter gratuitement les pauvres, le premier lundi de chaque mois, respectant ainsi les qualités d’Anargyres des deux saints.

Des saints bien ancrés en Lorraine

Si le culte de Saint Côme et Saint Damien se répand très tôt dans le monde dès le Ve siècle, il se développe également dans l’Est de la France. De nombreux lieux de culte sont ainsi dressés en leur mémoire dans notre région. L’église de Vézelise par exemple (1520), dédiée aux deux saints, a contribué par son important sanctuaire à faire connaître les saints médecins et à diffuser leur culte en Lorraine.

Plusieurs figurations de Côme et Damien existent dans l’église d’Alaincourt-la-Côte en Moselle. L’église de Benestroff, également en Moselle, compte elle aussi deux très belles statues anciennes.

Il n’est donc pas étonnant que la Faculté de Pont-à-Mousson dédie son petit sceau aux deux saints. Il faut savoir que seules deux facultés ont choisi Côme et Damien parmi leurs saints-patrons : Pont-à-Mousson et Poitiers.

La représentation de Saint Côme et Saint Damien dans notre musée et ses particularités

Populaires, les saints anargyres Côme et Damien ont été fréquemment représentés depuis l’Antiquité. Patrons des chirurgiens, ils apparaissent dans les images de confrérie, sur les sceaux et les jetons. Puissants protecteurs, ils attirent de nombreux dévots, dont certains riches et célèbres comme les Médicis. Côme l’Ancien (1389-1464) eut pour son saint patron une grande dévotion et finança les travaux de Fra Angelico auteur de remarquables toiles illustrant plusieurs épisodes de leur légende : La guérison du diacre Justinien, l’enterrement de Côme et Damien avec leurs frères (Musée San Marco à Florence).

L’iconographie des saints a retenu l’attention des historiens parce qu’on les a représentés comme des médecins de la fin du Moyen Age ou de l’époque baroque. Ils portent habituellement les vêtements amples et le haut chapeau que les médecins portaient pour affirmer leur dignité.

Leurs attributs sont : la trousse, la lancette pour les saignées, la pince, la spatule, le mortier et son pilon, le pot d’onguent, l’urinal, et tant pour s’instruire que pour rédiger l’ordonnance, plume et encre, rouleau et livre.

Les particularités du sceau de Pont-à-Mousson

Sur le petit sceau de la Faculté de Pont-à-Mousson gravé au XVIIe siècle, les deux saints sont figurés debouts, en robe longue avec collet. Ils sont coiffés d’un bonnet et portent en main des attributs que l’on ne leur voit pas habituellement : un coeur enflammé, un miroir qu’ils tiennent ensemble, un sceptre. Un troisième personnage est introduit dans la composition, habillé comme eux mais sans collet, agenouillé à leurs pieds, c’est le candidat. Il a les mains jointes et se confie à ses deux patrons. Sur une banderole au dessus de leur tête se lit le mot qui leur est propre : Anargyres. Le miroir pourrait être, selon, M.L. David-Danel, l’emblème d’Hygie, fille d’Asclépios, mais le coeur et le spectre restent énigmatiques.

Le sceau gravé au XVIe siècle montrait un urinal et une spatule, symboles classiques, remplacés par un coeur et un spectre sur le sceau du XVIIIe siècle.

Les particularités des deux tableaux octogonaux de la Faculté

De manière classique, les deux saints portent le costume des professeurs de médecine de la fin du XVIe siècle : la longue robe rouge, le collet blanc, le chapeau haut.

Comme pour tous les autres tableaux octogonaux, les noms sont peints en lettres capitales rouges. Au-dessus de leurs visages identiques, puisqu’ils sont jumeaux, on devine deux fines auréoles. Leurs attributs sont eux aussi classiques et choisis parmi des instruments évoquant médecine et chirurgie : la spatule et la boîte d’onguents pour Saint Côme, le pot de panacée, remède universel contre tous les maux pour Saint Damien.

Saint Côme et Saint Damien ont été représentés ici pour leur authentique qualité de médecins. On ne note aucun caractère qui soit lié à leur stature de saints et de martyrs.

Ils sont considérés comme de véritables saints médecins, et non comme des saints guérisseurs.