L’implication des professeurs de médecine
bref historique
Lucette
SCHWEYER
Au XIXe siècle,
la religieuse reste omniprésente dans les hôpitaux. La « bonne sœur » est
corvéable à merci, elle travaille jusqu’à épuisement, ne se plaint jamais, ne
revendique rien, juste son salut. Au dévouement, à un altruisme qui reste
nécessaire, l’infirmière va devoir ajouter un statut. C’est l’enjeu du XXe siècle.
A l’époque de
Pasteur (1822-1895) et de l’accélération des progrès scientifiques, il est
impératif qu’une grande nation comme la France se dote d’un corps de soignantes
professionnelles qui répondent à une double exigence de laïcité et de
compétence.
Le
docteur BOURNEVILLE
(BIUM,
université Paris 5)
Le docteur Désiré
Magloire BOURNEVILLE (1840-1909), éminent neurologue à l’hôpital de
Bicêtre, hygiéniste convaincu, mais aussi anticlérical farouche et député
radical, développe à cet égard ses idées dans les colonnes du Progrès médical.
Il estime que les infirmières doivent recevoir une formation « républicaine »
et se voir offrir une carrière professionnelle digne de ce nom. Il multiplie
les déclarations : « L’Etat qui est laïc a le devoir
de se priver du concours d’auxiliaires qui par leurs vœux, se placent en
opposition directe avec les lois de la nature et les intérêts de la société ».
Objectif avoué : remplacer les religieuses dans les hôpitaux ! Bourneville va prendre les choses en main, sous l’autorité
de l’Assistance publique de Paris. Il est l’initiateur de la formation
professionnelle des personnels soignants en France, il organise intégralement
cette première formation. Le programme Bourneville
associe des cours théoriques et pratiques : l’anatomie, la physiologie, les
techniques de soins, l’asepsie, il s'intéresse aussi à l’enfant malade et à la
déficience.
Le 1er avril
1878 s’ouvre l’école de la Salpêtrière, suivie par celle de la Pitié et celle
de Lariboisière. La formation scientifique et technique prend le pas sur le
dévouement et le sacrifice de soi. La nouvelle infirmière s’inscrit dans la
modernité. Elle devient « la collaboratrice disciplinée, mais intelligente du
médecin et du chirurgien » (Duley, 2012). Le concept est révolutionnaire,
l’infirmière devient responsable. La formation théorique est dispensée par les
médecins. La pratique s’apprend au contact des malades sous la direction d’une
« maîtresse de l’enseignement pratique ». Le diplôme délivré à partir de 1883
est un diplôme d’école car chaque établissement applique un programme d’études
qui lui est propre. La loi du 15 juillet 1893 instaure l’assistance médicale
gratuite et organise sur ces bases des écoles d’infirmières financées par
l’Etat, où les jeunes filles suivront une formation d’une année. Un certain
nombre d’écoles privées dispensent également des enseignements.
Amphithéâtre de
l'école d'infirmières de la Salpétrière
à Paris en 1878 (US National
Library of Medicine)
Le Conseil international des infirmières voit
le jour en 1889 et, en 1902, une circulaire officialise la création d’écoles d’infirmières
sur tout le territoire français. Il faudra attendre le 27 juin 1922 pour que
soit créé le premier diplôme d’État français à la suite d’un décret qui
uniformise le programme de formation au niveau national.
A Nancy, en 1900, la Commission administrative
des Hospices civils nomme une sous-commission d’études pour examiner
l’opportunité de créer une école d’infirmières. Le 13 février, le docteur HENRION,
membre de cette commission, obtient la création de l’école. Il soumet alors le
projet de programme des études établi par le doyen Frédéric GROSS (1844-1927)
avec le concours de ses collègues de la Faculté de médecine. En octobre 1900,
l’école régionale d’infirmières est dirigée par la supérieure des sœurs de
l’hôpital et par le professeur Pierre PARISOT (1859-1938). De 1901 à
1906, elle ne délivre qu’un brevet de surveillante de salle. En 1906, la
commission procède à une réorganisation, en élargissant la commission médicale,
avec le professeur Paul HAUSHALTER (1860-1925). A partir de cette date, l’école
délivre deux sortes de brevets : le brevet élémentaire d’infirmière et le
brevet de second degré ou de surveillante de salle. Le programme de
l’enseignement est arrêté par la commission médicale, les cours sont complétés
par des exercices pratiques sous la direction du professeur de médecine chargé
du cours auquel il se rapporte. Les élèves, candidates à l’un ou l’autre de ces
brevets, doivent subir un examen de fin d’études devant un jury composé de
professeurs de la Faculté de médecine. Cette première partie de la vie de
l’école s’achève avec la déclaration de guerre en 1914 ; elle ferme en août
1914.
La réouverture de l’école
est décidée quand paraît le décret du 27 juin 1922. Elle est effective le 1er décembre sous la dénomination
d’« École Régionale d’Infirmières de Nancy ». Elle est toujours sous l’autorité
de la direction générale de la Commission administrative des Hospices civils
qui l’a créée et dont elle dépend. Le directeur technique choisi parmi les
professeurs de la Faculté de médecine est Pierre PARISOT. L’enseignement
menant au diplôme d’Etat est théorique et pratique :
-
L’enseignement théorique est confié aux professeurs et aux agrégés de la
Faculté de médecine, qui participent aussi à l’évaluation des élèves.
-
Les cours de petite pharmacie et l’évaluation des élèves sont confiés à un
professeur de la Faculté de pharmacie, pharmacien-chef des hospices civils. Le
professeur Maurice HOFFMAN (1937-2014) assura cette fonction entre 1964
et 1995.
-
Les cours de morale professionnelle sont confiés à la directrice morale de
l’école.
-
Les cours d’administration et de législation sont confiés au fonctionnaire le
plus élevé en grade de l’administration des hospices civils.
-
La pratique s’acquiert par les stages : les élèves possèdent un carnet de stage
individuel destiné à recevoir les notes données par la directrice et par les
professeurs et chefs de service hospitaliers.
En
août 1926, l’école est transférée dans des locaux spécialement aménagés dans
une partie d’un immeuble en façade de l’avenue de Strasbourg, dépendant de
l’hôpital central. Mais ces locaux se révèlent vite insuffisants. Un nouveau
projet de construction verra la réalisation d’un immeuble de style Art déco
inauguré début 1937 (voir la lettre du musée n°72), encore actuelle école
d’infirmières ou IFSI (Institut de Formation en Soins Infirmiers) de la rue Lionnois. La bibliothèque porte le nom des donateurs : les
professeurs de chirurgie Gaston MICHEL (1874-1937) et de médecine Pierre
PARISOT. En 1939, c’est le professeur Jacques PARISOT (1882-1967)
qui succède à son père à la direction.
Le
bâtiment de l'école d'infirmières de la rue Lionnois
à Nancy - état en 2015 (photographie Pierre LABRUDE)
L’école est à nouveau fermée
en septembre 1939. Le 7 mai 1941, le professeur Pierre MELNOTTE
(1891-1979), alors directeur régional à la santé et à la famille, adresse un
courrier au président de la Commission administrative. Il lui demande
d’envisager au plus vite la réouverture de l’école et s’engage dans un « esprit
ardent de collaboration à l’aider dans cette tâche de tout son pouvoir et toute
sa volonté ». La réouverture est décidée pour le 1er
octobre 1941. L’implication du professeur MELNOTTE et
son art de la pédagogie lui valurent l’hommage suivant par la directrice, Sœur
Suzanne, quand il mit fin à ses fonctions d’enseignement en 1968 : « un hommage
spécial doit être rendu à monsieur MELNOTTE qui assuma l’enseignement de
la Médecine en totalité durant cette période de pleine évolution. Je crois
pouvoir être le porte-parole de tous ceux et celles qui l’ont connu pour lui
exprimer notre gratitude. Clair, précis, émaillant ses cours d’exemples
frappants, il reste au coeur de tous comme une figure
inoubliable et marquante de l’école d’infirmières. Beaucoup d’enseignants sont
passés et passeront encore, s’attachant plus ou moins à cette école, mais
monsieur MELNOTTE garde une place privilégiée pour son passage dans
cette école ».
Pierre
MELNOTTE - médaille de Crauzet
Musée
de la Faculté de Médecine de Nancy
Les formations annexées à
l’école d’infirmières après 1945.
Les sages-femmes. Monsieur
le professeur Henri VERMELIN (1891-1968), directeur technique de la
maternité départementale, fait une requête pour que les élèves sages-femmes
suivent l’enseignement dispensé aux élèves de 1ère
année de l’école d’infirmières. Il obtient
satisfaction en septembre 1944 avec la création d’un tronc commun qui perdure
jusqu’en 1972. A partir des années 50-60, d’autres formations sont aussi prises
en charge par l’école d’infirmières : auxiliaires de puériculture,
puéricultrices, aides-soignantes. Une section d’aides-anesthésistes
est créée et prise en charge en mai 1960 par le professeur Jean-Marie PICARD
(1925-1992). Cependant, cette section deviendra vite autonome.
Henri
VERMELIN - Gravure de Daniel MEYER
(Collection
du Musée)
En
1960, les élèves manipulateurs en radiologie rejoignent le tronc commun
d’enseignement de 1ère année d’infirmières avec les sages-femmes. Mais le nombre
sans cesse croissant des élèves de toutes ces sections crée des difficultés
importantes de fonctionnement : locaux et matériel insuffisants et inadaptés,
personnel d’encadrement insuffisant. Dans le courrier adressé au président du
conseil d’administration en juin 1961, la directrice de l’école explique son
désarroi : « nous n’avons actuellement qu’une seule monitrice (actuelle cadre
de santé formatrice). Son état de santé est très déficient en raison du
surmenage de cette année durant laquelle elle a assumé la charge des deux
promotions, soit plus de 200 élèves. Elle ne peut continuer ce rythme de
travail à la rentrée »… En réponse à cette requête, le 27 juillet 1961, le
doyen Jacques PARISOT, après accord avec le professeur Antoine BEAU (1909-1996)
annonce qu’une monitrice a été trouvée par ses soins parmi le personnel de
l’Office d’Hygiène Sociale (OHS).
Philippe CANTON - Faculté de
Médecine de Nancy
Cette rétrospective montre
l’implication, l’engagement et la détermination des professeurs de médecine de
la Faculté de Nancy dans la formation des infirmières au fil du temps et des
événements. Tous restent des figures marquantes de la pédagogie. Leurs cours
magistraux étaient construits et adaptés aux futures infirmières. Accessibles,
clairs, illustrés, ils avaient pour objectif de transmettre les connaissances
indispensables à une pratique professionnelle de qualité, et ainsi de former de
futurs collaborateurs avec qui il était possible de travailler en toute
intelligence. Citer tous ces professeurs de 1960 à nos jours est impossible, et
beaucoup sont décédés. Parmi eux, nous pouvons mentionner le professeur Philippe
CANTON (1935-2007), très impliqué pédagogiquement et aussi structurellement
(conseil pédagogique, de discipline, etc.), le professeur Jean SOMMELET (1923-2012)
est également très impliqué.
Ainsi l’école d’infirmières
de Lionnois bénéficiera d’une réputation d’excellence
au niveau lorrain, mais aussi au delà. Des demandes
de recrutement émanent alors de la région sud de la France ! Avec l’ouverture
de l’hôpital de Brabois (1973) et d'une seconde école
d'infirmières sur ce site (1978), certains professeurs de médecine ont commencé
à déléguer les cours à leurs assistants, mais la collaboration médicale a
perduré.
2009, un tournant culturel
et pédagogique : la mise en œuvre du nouveau programme de formation est un
tournant, voire une révolution. Il est régi par des courants pédagogiques
modernes et une identité professionnelle qui revendique une plus forte
autonomie par rapport aux médecins. Concrètement, l’enseignement didactique
donc les cours magistraux, assurés par les médecins et chirurgiens, sont
réduits au profit de travaux dirigés (TD) et de travaux de groupes (TG). La
suppression de l’épreuve écrite du diplôme d’Etat, à laquelle participaient les
médecins au niveau de l’élaboration des sujets et de la correction des copies,
participe aussi à une prise de distance du corps infirmier vis-à-vis des
médecins… Mais 2009, c’est aussi « l’universitarisation
» officielle de la formation des infirmiers. Ainsi, plus d'un siècle après les
bases posées par BOURNEVILLE, l'exigence scientifique demeure au centre de la
formation, quels que soient les enjeux d'autonomie et de dépendance entre corps
de métiers.
Références
bibliographiques :
-
Duley P., La vraie histoire des infirmières. Chronique Editions.
-
Hofer J. (directrice de l’école de 1976 à 1987), Historique de l’école
d’infirmières du CHRU de Nancy rue Lionnois, document
issu de la bibliothèque de l’IFSI Lionnois.
- Legras B., Les professeurs de médecine de Nancy 1872-2013.
Ceux qui nous ont quittés. Euryuniverse éditions.