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Marie-Thérèse Wauthier (1929-1960) : Interne, Médecin et Héros

 

Jacques VADOT

 

 

Il y a une soixantaine d’années disparaissait Marie-Thérèse Wauthier, emportée par une terrible épidémie, la poliomyélite. Née à Metz en 1929, elle suivit son cursus médical à Nancy, passant sa thèse de Docteur en Médecine en 1953, puis se présenta au difficile concours de l’Internat auquel peu de femmes étaient candidates et qu’elle réussit brillamment en 1955. Au cours de ses stages elle bénéficia de l’enseignement du Professeur Abel, en médecine générale, puis du Professeur Louyot en rhumatologie, avant d’arriver au Service des Maladies infectieuses de l’Hôpital Maringer dirigé successivement par le Docteur Pierre Gerbaut puis par le Docteur Jean Lorrain.

 

De nos jours la pandémie du Covid 19 continue d’ébranler le monde. Le « Grand Est » et la Lorraine n’ont pas été épargnés. Les personnels soignants et les techniques actuelles de réanimation permettent en partie de faire face à cette difficile situation, même si les décès sont encore trop nombreux. Les traitements médicaux ne sont pas considérés comme efficaces et seul un vaccin est impatiemment attendu. Mais qui se souvient qu’en 1957 une autre pandémie était apparue, particulièrement en Lorraine ? Le virus de la poliomyélite, isolé en 1949, touchait de nombreuses personnes. De 1945 où les premiers cas furent constatés en France, la diffusion du virus fut grande jusqu’en 1956. Entre 1500 et 2000 cas furent recensés.

 

Les enfants étaient souvent atteints. Des atteintes du système nerveux, particulièrement au niveau de la moelle épinière, provoquaient rapidement d’importants troubles moteurs. De fréquentes insuffisances respiratoires dramatiques nécessitaient de faire appel à une « respiration artificielle » externe. En un premier temps il a fallu recourir au « poumon d’acier » (figure 1), appareil impressionnant dans lequel était placé le patient et qui générait une alternance de pression-dépression suppléant le déficit de la fonction respiratoire. Plus tard la trachéotomie permit, à l’aide de canules spécialement adaptées, l’utilisation d’appareils externes moins encombrants et moins angoissants pour le patient.

 

 

 

Figure 1 : le poumon d’acier du Musée de la santé de Lorraine. Photographie P. Wernert.

 

De nombreuses personnes furent touchées par ce virus et si le nombre de décès fut limité grâce au dévouement des équipes médicales, de nombreux malades en garderont de graves séquelles, en particulier sur le plan locomoteur. A cette époque et en l’absence d’un traitement spécifique, la seule arme contre la poliomyélite était la vaccination qui venait d’être mise au point par Jonas Salk et Albert Sabin, avec de premiers essais aux USA en 1954, sous forme injectable à partir d’un virus tué. Vers 1958-1962 il est mis à disposition en Europe et utilisé à Nancy. Il était réservé en priorité au corps médical dont les étudiants en médecine dont je faisais partie. Puis c’est à partir de 1963 qu’apparait, réalisé par Sabin, un vaccin à virus vivant atténué, permettant une utilisation orale, plus facile et universelle. Des campagnes de vaccination mondiale furent lancées avec l’appui d’organismes internationaux comme le Rotary présent dans la plupart des pays du globe et de fondations privées comme celle de Bill et Mélina Gates. Depuis 1985 ce sont plus de 14 milliards de dollars qui ont été investis dans le monde pour lutter contre cette terrible maladie. A partir de 1999 on constate une baisse significative des cas mondiaux. Actuellement persistent quelques foyers en Afghanistan, au Pakistan ainsi qu’au Nigéria. A titre d’information rappelons que la variole a été considérée comme éradiquée, depuis 1980, grâce à la vaccination.

 

Revenons en 1957 où de nombreux cas de poliomyélite sont détectés en Lorraine. Les malades atteints sont hospitalisés dans un secteur de l’Hôpital Maringer (figure 2), situé entre l’Hôpital Fournier (Dermatologie) et l’Hôpital Villemin (Pneumologie), l’ensemble se trouvant Quai de la Bataille à Nancy. A Maringer, le Service des Maladies infectieuses occupe un bâtiment allongé, situé au rez-de-chaussée, édifié au cours de la Grande Guerre pour y accueillir les blessés ayant besoin d’une rééducation ou d’appareillage (figure 3).

 

            

 

            Figure 2 : l’Hôpital Maringer.                  Figure 3 : le bâtiment du Service des Maladies infectieuses.

 

C’est donc dans ces locaux rapidement adaptés que sont accueillis les patients. Les chambres sont peu spacieuses, occupées par une ou deux personnes. Le personnel soignant se dévoue sans compter et la fatigue gagne chacun progressivement. Cela s’appelle de nos jours le « burn-out ». Parmi les sœurs de Saint-Charles présentes dans les hôpitaux, Sœur Dominique, très active malgré son âge, sera surnommée « l’ange des polios ».

 

 

Figure 4 : Marie-Thérèse Wauthier

Extrait d’une photographie de groupe prise au Service du Professeur Pierre Louyot, vers 1955.

 

Marie-Thérèse Wauthier termine son internat dans ce service. Afin de faire bénéficier quelqu’un d’autre d’un vaccin dont le nombre était limité, elle ne se fait pas vacciner. Malheureusement cette situation la rend vulnérable et, malgré toutes les précautions prises, elle contracte rapidement cette terrible maladie. Elle qui se dévouait pour tous ceux qui en étaient atteints se retrouve hospitalisée à son tour, avec des atteintes neurologiques et respiratoires majeures. Son calvaire durera plusieurs années. Elle est entourée des soins attentifs de tout le personnel soignant. Fiancée à un médecin qui avait passé l’internat quelques années avant elle, et sachant la gravité de son mal, elle le délivra de son engagement, mais le Docteur Robert Dornier, Assistant des Hôpitaux et gastroentérologue ne se résolut pas à l’abandonner et continua à la voir très régulièrement, ce qui contribua à adoucir sa fin. Elle bénéficia aussi en permanence pendant ces longues années de la présence de sa mère à ses côtés.

 

A cette époque je débutais mon externat au Service de Dermatologie du Professeur Jean Beurey. Nous étions régulièrement appelés pour avis dans les services voisins. C’est à cette occasion que j’ai pu, à plusieurs reprises, apercevoir par une porte entrouverte cette jeune femme sur son lit de souffrance, m’interdisant cependant d’entrer, par discrétion, car je ne la connaissais pas personnellement. Je dois avouer que cela m’avait énormément impressionné.

 

Après une lente et terrible agonie Marie-Thérèse Wauthier s’éteignait le 26 août 1960. Elle avait trente ans. Elle était jeune et belle et laissa derrière elle le souvenir d’une personne chaleureuse et dévouée, exerçant sa profession médicale avec passion et compétence.

 

Quelques témoignages lui ont été consacrés. Un article dans la presse (Le Monde), un hommage dans les publications de l’Internat des Hôpitaux de Nancy, une plaque dans un service hospitalier. Lors de ses obsèques, le 29 août 1960, elle reçoit du représentant du Préfet de Meurthe et Moselle les insignes de « Chevalier dans l’Ordre de la Santé publique ». Un hommage lui fut rendu, par l’Académie nationale de Metz, le 10 novembre 1960, au titre de « Prix de la vertu ».

 

Curieusement, l’année suivante, dans la cadre d’une campagne pour « magnifier l’engagement des Filles de France », la commune de Saint-Jean-de-Luz baptisa une de ses artères « Rue du Docteur Marie-Thérèse Wauthier ».

 

Sans doute rares sont maintenant  ceux qui ont croisé ou aperçu Marie-Thérèse Wauthier. Jean Floquet, notre ancien conservateur, fit quelques gardes dans ce service. Son épouse Andrée Floquet y occupa brièvement un poste d’externe.

 

Ayant eu le triste privilège d’être le témoin involontaire de sa lente disparition, je tenais à rappeler le nom de Marie-Thérèse Wauthier, qui fut « médecin et héros ».

Note : Etienne Thévenin, Maître de conférences en histoire contemporaine à l'Université de Lorraine a écrit un article détaillé sur M-T Wauthier paru en 2020 dans La Revue Politique et Parlementaire.