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Anne FERIET (1550-1604) : Bienfaitrice des hôpitaux de Nancy

 

Jacques VADOT

 

A Nancy, l’avenue de Boufflers est un peu l’épine dorsale du quartier « des 3 B » (Beauregard-Boufflers-Buthégnémont). 

 

En descendant cette artère « pentue » à partir du quartier Sainte-Anne, on croise différentes rues dont l’une, située juste avant l’imposant bâtiment en briques du groupe scolaire de Buthégnémont, attire l’attention par son libellé inhabituel : « rue Anne FERIET bienfaitrice des hôpitaux ».

 

Plaque de la rue dédiée à Anne FERIET (J.V.)

 

 

Groupe scolaire de Buthégnémont (J.V.)

 

Qui était Anne FERIET ?

 

Née vers 1550 à Saint-Nicolas-de-Port, Anne Fériet appartenait à une famille de riches négociants de la ville dont l’activité, le commerce des draps, se faisait à « Port » et à Francfort. Les « Fériet » contribuèrent à l’édification de la basilique, qui renferme un vitrail situé dans la troisième chapelle à gauche à partir de l’entrée côté nord, dite « Chapelle Sainte-Anne », sur lequel les « généreux donateurs » Fiacre Fériet et son épouse Jennon sont représentés. La restauration du XIXème siècle en a beaucoup altéré l’aspect original.

  

Chapelle Sainte-Anne, le vitrail (J.V.).

En haut et à gauche, Fiacre Fériet ; à droite, son épouse Jennon

 

Fiacre est l’un des frères de Gergonne, le père d’Anne, qui épousera Isabelle Beurges. Anne, leur quatrième enfant, sera deux fois veuve.

 

Epousant d’abord Pierre Le Clerc, « Président de la Chambre des Comptes de Lorraine », elle reçut de son père une somme de 10.000 francs complétée plus tard  par testament. En deuxième noce, elle épousera Messire Got, « Seigneur de Novéant-sur-Moselle ».

 

Jennon Fériet en prière, détail du vitrail (J.V.).

Ce personnage est parfois identifié à Anne Fériet

 

L’hôpital des pestiférés de la ville de Nancy

 

A proximité de sa ville natale, Anne Fériet avait déjà fait construire des abris ou « logettes » pour les pestiférés. Financièrement aisée et d’une nature généreuse, cette « noble dame » fit « don, par leg », en avril 1597, de la somme de 30.000 francs destinée pour moitié à la construction « d’iceluy hospital des pestiférés », très nombreux à l’époque. Les autres 15.000 francs étaient réservés à la constitution d’une rente annuelle réservée à l’entretien des « occupants et des bâtiments ».

 

Cet ensemble fut édifié dans les faubourgs de la ville de Nancy, sur une sorte de prairie prise sur la forêt, où se trouvaient précédemment une briqueterie puis une tuilerie et un moulin. Ce lieu était traversé par le ruisseau de l’Asnée qui se jette dans le ruisseau de Saurupt qui alimente l’étang Saint-Jean et les « douves » de Nancy. Erigé sur ce vaste terrain d’environ 30.000 mètres carrés, situé en dehors et à l’ouest de la ville ducale, le « clos de Laulnel, Laynel ou Lasné » (plus tard l’Asnée), contenait initialement des baraques en bois, ou « loges », hébergeant les lépreux « hors la ville », où ils mouraient autant de faim que de maladie.

 

L’ensemble des bâtiments est édifié sur la commune de « Marainville » qui plus tard deviendra « Maréville » et sera rattachée à la commune de Laxou. En 1602, sera construite la « chapelle de la Trinité de Sainte-Anne », consacrée par Christophe de la Vallée de Rarécourt, évêque et comte de Toul. Cet édifice disparaîtra. 

 

Sur un plan de 1651 est signalée la « chapelle », de forme hexagonale avec un dôme surmonté d’une lanterne à quatre colonnettes, se terminant par une croix.  A l’intérieur, on trouve un autel orné d’un tableau de la Trinité et, sur un tombeau, une inscription rappelant les bienfaits de la généreuse donatrice.  

 

Plan de 1651

 (Archives municipales de Nancy, cote 1 FI 1303)

 

En dehors de ceux affectés à l’hébergement des malades, d’autres bâtiments comportaient des logements destinés aux « concierge, personnel de service, charretier, teugnons chargés de l’enlèvement des corps, aumônier, médecins et apothicaire ». Cet établissement sera utilisé pendant de nombreuses décennies.

 

Les « pestiférés signalés en ville étaient conduits à Maréville (…) où ils étaient confessés et communiés puis enfermés. » « Un pourvoyeur, vêtu d’un costume spécial et armé d’un bâton bleu et blanc, était seul chargé des communications (…) avec l’extérieur (…). L’entrée de l’hôpital était formellement interdite (…). Les soins étaient donnés par des religieux établis à l’hôpital » (Jacques Dumont, thèse, 1937).

 

Un peu plus tard, par un autre legs, Anne Fériet fait don d’une somme destinée à poursuivre l’entretien des locaux.

 

A Nancy, dès 1158, avait été édifié un « hôpital Notre-Dame », situé au nord de la ville, dirigé par les sœurs grises. En 1335, un nouvel hôpital, dit « hospice Saint-Julien », avait été construit Grande Rue en « vieille ville ». Détruit par un incendie, il fermera en 1599.

 

Le nom d’Anne Fériet est aussi cité parmi les «donateurs» du « deuxième hôpital Saint-Julien ». Edifié en « ville neuve », il est situé vers les actuelles rue des Dominicains et Saint-Julien, derrière l’hôtel de ville, à l’emplacement de la Poste centrale, aujourd’hui désaffectée. 

 

Entrée principale rue Pierre-Fourier

(clichés A. Barbier & Paulin)

 

Première cour (clichés A. Barbier & Paulin)

 

En service depuis 1590, cet établissement fermera ses portes en 1900. Il sera remplacé par l’actuel et troisième hôpital du même nom, construit en bas de la « Rue de la Prairie », actuelle rue Albert-Lebrun.  L’Hôpital Central, très proche, avait été érigé à la fin du XIXème siècle, permettant, avec les bâtiments de la Faculté de médecine de la rue Lionnois, l’accueil à Nancy de la Faculté de médecine de Strasbourg avec ses nombreux professeurs qui voulaient échapper au joug prussien (« Transfèrement », décret d’Adolphe Thiers du 1er octobre 1872).

 

Anne Fériet décède en 1604 et, vers la fin de cette même année, ses biens et meubles sont vendus, pour moitié au profit de l’hôpital des « pestiférés » et pour moitié pour le « 2ème Hôpital Saint-Julien » de Nancy. Que devient cet « hôpital des pestiférés » érigé grâce à la générosité d’Anne Fériet ? Poursuivant sa mission, il continue son activité après sa mort. Son administration passe sous l’autorité de la ville de Nancy en 1610.

 

Une recrudescence de la peste survient en 1630. Vers le milieu du XVIIème siècle, la peste diminue fortement en Lorraine. La ville de Nancy, qui « abondait » pour l’entretien de l’établissement, réduit ses donations, et les coupes de bois ne suffisent plus à faire face aux dépenses.

 

Venant chasser en ces lieux où existaient de nombreuses forêts, le duc Léopold décide d’affecter cet espace à une « Renfermerie ou maison de correction pour les jeunes vicieux » à partir de 1714. Ses « pensionnaires » étaient le plus souvent mal nourris et maltraités. Bientôt sera édifiée à proximité une « Manufacture de bas de laine » dans laquelle travaillaient nombre de détenus, sous la surveillance d’un certain Jean Leduc, valet du duc Léopold. Il décède en 1733. Un moment continué sous la tutelle de la ville de Nancy, ces activités « pénitentiaires et manufacturières » cesseront en 1745.

 

Vers 1759, sous le règne de Stanislas, les bâtiments seront confiés aux « Frères des Ecoles chrétiennes » qui y élèveront une nouvelle chapelle dédiée à Saint-Roch (1295-1327) lequel, après avoir « miraculeusement » échappé une première fois à la peste, en mourut, et devint le « patron des pestiférés »

 

Le site de Maréville

(Gravure du XVIIIe siècle, photographie du C.H.S. de Laxou)

 

 Cet édifice est richement décoré de tableaux, de grilles de Jean Lamour, et il bénéficie d’un buffet d’orgues de la fin du XVIIIème siècle, restauré en 1971.

 

La chapelle du C.H.S. de Nancy-Laxou

(photographie du C.H.S.)

 

Avec la Révolution, les personnes enfermées sont libérées. Mais les Frères de la   Congrégation doivent abriter, discrètement, quelques prêtres réfractaires. Détruits par un incendie en 1794, les bâtiments administratifs seront reconstruits à l’identique.

A partir de 1805, le docteur François Bonfils (1769-1851), puis son fils Jean-François (1798-1831) deviendront successivement, avec les soeurs de la Congrégation de Saint-Charles, responsables d’un nouvel « Hôpital central des aliénés » qui accueillera des malades de plusieurs départements. En 1838, il deviendra « Asile public d’aliénés », puis en 1937, « Hôpital psychiatrique ». C’est dans cet établissement que, simulant la folie pour échapper au régime allemand, Edouard Herriot a été « hospitalisé » en 1944, quelques temps avant la Libération. Depuis 1949, devenu « Centre psychiatrique de Nancy », cet hôpital a suivi l’évolution de la psychiatrie qui est passée de l’enfermement à l’externalisation.

 

Bien que son souvenir se soit estompé au cours des siècles, le nom d’Anne Fériet, « bienfaitrice des hôpitaux » à la fin du XVIème siècle, mérite d’être retenu, au même titre que le sera plus tard celui de Virginie Mauvais (1797-1892), ancienne institutrice, qui, en 1890, fit aux hôpitaux de Nancy une donation de 400.000 francs pour l’édification d’un bâtiment, le « Pavillon Virginie Mauvais », qui au fond de la cour arrière de l’Hôpital Central, accueillera longtemps les enfants en médecine puis en chirurgie. Il sera détruit en 1983, remplacé par le « Service des urgences de ville » tandis que son activité sera poursuivie sur le site de Brabois, dans un hôpital uniquement dédié à la pédiatrie.  

 

 L’auteur exprime sa gratitude à tous ceux qui l’ont aidé dans sa recherche de documents :

- Archives départementales de Meurthe-et-Moselle

- Archives municipales de Nancy

- Musée de la Faculté de médecine de Nancy

- Service de documentation du C.H.S. de Nancy-Laxou   

- Médiathèque de Saint-Nicolas-de-Port 

- Association « Connaissance de la Basilique de Saint-Nicolas-de-Port ».

 

Documents utilisés :

 - Jacques Dumont, Essai sur l’évolution de l’assistance aux aliénés à Maréville, thèse de doctorat en médecine, Nancy, 1937 

- Christian Pfister, Histoire de Nancy

- Paul et Dominique Robaux, Les Rues de Nancy

- Ville de Nancy, Ancien Hôpital Saint-Julien, Barbier et Paulin

- Alain Larcan et Bernard Legras, Les Hôpitaux de Nancy

- Michel Hérold, Les vitraux de la Basilique de Saint-Nicolas-de-Port.