Les sépultures de la chapelle
de l’hôpital Saint-Julien
Philippe WERNERT
L’actuel
hôpital Saint-Julien, établissement du CHRU de Nancy, est mis en service en
1900. Réalisé sur les plans d’Albert Jasson, il est
implanté dans un vaste terrain situé en contrebas de l’hôpital Central. Le site
retenu était occupé par des cultures sur des parcelles toutes en longueur et
par l’ancien cimetière Saint-Nicolas.
Il
s’agit du troisième hôpital de ce nom. Le précédent, le second, était situé
entre l’actuel hôtel de ville et la rue Saint-Georges. Il datait de 1590 et il
sera démoli en 1902. Il avait lui-même remplacé le premier établissement, fondé
en 1336 dans la Vieille Ville, à l’emplacement du n°35 de la Grand’Rue.
La chapelle de l’hôpital et sa crypte
La
chapelle est située à l’extrémité du nouvel hôpital à proximité du boulevard
Lobau. Elle s’inscrit au milieu du bâtiment formant le fond du site.
Figure 1 : Saint-Julien N°3, plan du sous-sol (archives CHRU)
Figure 2 : Saint-Julien N°3, la chapelle vers 1906
(C.P.)
De
la chapelle, on peut accéder à une crypte située sous le chœur. Le sol de cette
crypte est principalement composé de dalles funéraires en pierre calcaire de
pays encadrant une allée centrale menant à un cénotaphe. Deux dalles de marbre
blanc s’appuient par ailleurs contre les murs latéraux. Les épitaphes
intriguent car toutes datées des XVIIe ou XVIIIe siècles, alors que la chapelle
ne remonte qu’à 1900. D’où proviennent donc ces pierres tombales ?
Figure 3 : Saint-Julien N°3, la crypte
Figure 4 : une des épitaphes les plus lisibles, celle de Pierre de
Rosière
La provenance des dalles funéraires
Le
déchiffrement des épitaphes, complété par une recherche documentaire à partir
des archives du CHRU, des Archives départementales, des ouvrages historiques de
référence et d’un article publié en 1869 par un érudit, l’abbé Guillaume, nous
apporte une réponse, tant sur la provenance des dalles que sur l’identité d’un
certain nombre des personnes inhumées.
Les
défunts identifiables sont pour la plupart des économes ou des directeurs ou
encore des bienfaiteurs de l’hôpital Saint-Julien. Ils avaient été ensevelis
dans la chapelle de l’établissement deuxième du nom, celui situé derrière
l’hôtel de ville. Avant la démolition de 1902, par respect et en reconnaissance,
leur sépulture en a donc été transférée dans la crypte du troisième et actuel
hôpital.
Figure 5 : Saint-Julien N°2, plan de 1753, la chapelle, le cimetière
(archives CHRU)
Figure 6 : Saint-Julien N°2, à l’arrière-plan, la chapelle
(Histoire de la Congrégation de Saint- Charles)
Figure 7 : Saint-Julien N°2, la chapelle
(Ville de Nancy, ancien hospice Saint-Julien)
Certaines
tombes auraient par ailleurs pu provenir du cimetière qui longeait la chapelle,
en principe réservé aux pauvres et aux malades, mais où se faisaient également
ensevelir, dans un souci de modestie, certaines personnes de qualité. Les
sépultures de ce cimetière, comme celles des autres nécropoles intra-muros de
Nancy, avaient cependant déjà été transférées au cimetière de Préville autour de 1840.
L’abbé
Guillaume relate le résultat de ses investigations en 1869, alors que le
cimetière était déjà désaffecté. Il n’y découvre qu’un petit calvaire et, plus
loin, l’épitaphe d’un médecin, F. Callot. Il s’agit de François Callot,
lithotomiste et oculiste, le premier d’une famille de médecins et chirurgiens.
Sa pierre tombale a été déposée au Musée lorrain et se trouve actuellement
exposée dans la chapelle des Cordeliers.
Figure 8 : la pierre tombale de F. Callot (copyright Musée Lorrain)
L’identification des dalles transférées
Sur
les dix-sept dalles au total, seules neuf ou dix permettent un minimum
d’identification. Selon la numérotation du relevé supra, elles sont les
suivantes :
Figure 9 : Le relevé des tombes de la crypte
N° 1
: Georges Mareschaudel. Il s’agit du premier curé de
la paroisse Saint-Sébastien, qu’il administra de 1593 à sa mort en 1618 à l’âge
de 75 ans.
Nicolas
et Gérard Maréchaudel, deux frères, prêtres et neveux
de Georges. Nicolas est administrateur de l’hôpital pendant 38 ans. Il meurt en
1650 à 64 ans.
N° 2
: Pierre de Rosière, Grand aumônier de Lorraine, prieur commendataire de Varengéville et économe de l’hôpital. Il est gouverneur de
l’hôpital de 1665 à sa mort en 1673.
De
1665 à la Révolution, trois directeurs sont mis à la tête de l’hôpital, en
général un ecclésiastique, un conseiller à la Cour souveraine et un conseiller
à la Chambre des Comptes ou un avocat.
N° 3
: Pierre Bourguignon, économe de l’hôpital. Il lui lègue ses meubles et meurt
en 1622 à l’âge de 61 ans.
N° 4
: Elye du Boullet,
originaire de Bigourre en Beauvoisy
(localité restant à identifier). Il se met au service de ses frères, princes,
duc et cardinal (mais on ne trouve pas mention d’un cardinal de ce nom au XVIIe
siècle). Il assure ensuite la charge de contrôleur de l’hôtel du prince de
Phalsbourg et de Lixheim. L’hôtel de Phalsbourg se
trouvait effectivement à Nancy à l’emplacement de l’actuel 19 place du Colonel
Fabien. Il se retire à l’hôpital comme pensionnaire. Il y meurt en 1677 à l’âge
de 80 ans.
N° 5
: Seule une couronne comtale peut être discernée. Il pourrait s’agir de la
tombe d’Antoine de Marsanne, premier écuyer du duc
Léopold, mort en 1709.
N° 7
: Jacques Dely, curé de Maron,
décédé le 2 mai 1633.
N° 8
: Sœur Manne Petitjean de Plantenom,
originaire de Fayl-Billot dans l’actuelle Haute-Marne. Religieuse de
Saint-Charles, « d’un rare mérite, elle gouverna l’hôpital avec tant de sagesse
et de prudence qu’elle s’était attiré l’estime des grands et des pauvres et
l’affection de ses supérieures et de ses compagnes. Après avoir enduré avec
patience une longue maladie elle mourut à 40 ans le 22 avril 1766 ».
N° 10
: Jean Parisot, prêtre de l’hôpital, mort en 1610.
N°
11 : François Serre, chevalier de Clevand en partie,
conseiller d’Etat. Il passe une grande partie de sa vie comme négociateur au
service du duc Charles IV. Il est gouverneur de l’hôpital de 1665 à sa mort en
1686 à l’âge de 83 ans.
Jean
Georges Serre, son fils, chevalier seigneur de Ventron,
conseiller d’Etat et avocat général à la Cour
souveraine de Lorraine et Barrois, mort en 1686 âgé de 43 ans.
François
de Serre, fils et petit-fils des précédents. Il meurt en 1757. Est-il un
ascendant de François Hercule de Serre, ministre de la Justice de Louis XVIII,
qui a donné son nom à une rue de Nancy ?
N°
15 : Sœur Christophe Riétans, économe. Cette
religieuse était une bonne fille élevée dans l’hôpital mais qui, à la fin de sa
vie, « tomba en enfance et se laissa gouverner par les pauvres qu’elle appelait
ses commères. Ainsi cette maison tomba dans un pitoyable gouvernement… Les
directeurs qui étaient persuadés que cette bonne sœur était infaillible étaient
peu sensibles aux plaintes que les pauvres faisaient partout, ce qui fut la
source de la mauvaise réputation que fit cette maison d’être mal gouvernée ».
Sur
l’ordre du duc Léopold, ce fut l’occasion en 1702 d’introduire les sœurs de
Saint-Charles, qui œuvraient déjà à l’hôpital du même nom. Deux sœurs de cette
congrégation y furent affectées en 1702 en remplacement de la sœur Riétans « que l’on conserva néanmoins dans la maison
jusqu’à sa mort, la fournissant honnêtement de tous ses besoins ».
Les
nouvelles sœurs remirent de l’ordre. « On commença par la propreté surtout
celle des femmes qu’on avait logées avec les petits enfants qui couchaient avec
les vieilles femmes deux ou trois dans chaque lit, de sorte que l’infection et
la mal propreté étaient extrêmes et par là les maladies étaient fréquentes. On
y remédia en mettant des autres lits partout ; les petits enfants furent mis
dans une chambre et une bonne sœur en prit soin ; on sépara les malades de ceux
qui se portaient bien ; on fit des infirmeries ; on rétablit la pharmacie
qui était vide de tous remèdes et qu’il fallait acheter chèrement en ville ; on
reforma un chirurgien gagé ; les sœurs de Saint Charles savent soigner et
panser les plaies et sont fort habiles dans la pharmacie ; on rétablit une
lingerie qui était en très mauvais état ; on dressa au travail les garçons et
les filles, les femmes à filer et les hommes furent employés au jardin et à
l’économie de la campagne et des vignes de sorte que dans peu de temps le bon
ordre se mit partout et on bannit bien des abus parmi les pauvres qui sortaient
quand ils voulaient et vendaient leur pain pour avoir quelque profit et se
retranchaient le nécessaire. »
Les restes des corps
Les
corps étaient vraisemblablement ensevelis dans la crypte de l’église de
l’ancien Saint-Julien à l’aplomb des dalles funéraires. La question se pose du
sort de leurs restes, lors de la démolition de l’église en 1902. Un
dessin du projet de l’architecte nous apporte un élément de réponse avec la
mention « ossuaire » portée sur le cénotaphe. Les ossements non identifiés ont
donc été regroupés sous ce cénotaphe ; mais les restes ayant pu être rattachés
à une sépulture ont-ils été placés dessous ou ont-ils rejoint l’ossuaire commun
?
Figure 10 : dessin du cénotaphe par A. Jasson
(archives CHRU)
Que reposent en paix ces lointains Nancéiens, acteurs de
l’hôpital, dont nous venons de raviver le souvenir !
Principales sources :
- Boppe L., Les Etablissements publics hospitaliers à Nancy,
Crépin-Leblond, Nancy, 1906, 213 p.
-
Callot F. Ch., Histoire de la famille Callot, C.J. Hissette,
Nancy, 1823.
-
Guillaume (abbé), « Epigraphie tumulaire », Journal de la Société d’archéologie
lorraine et du Comité du Musée lorrain, Nancy, 1869, 18e année, p. 162-166.
- Lionnois J.J., Histoire des Villes Vieille et Neuve de
Nancy, Nancy, Henner père imprimeur, 1811, tome 2, p. 468.
- Pfister C., Histoire de Nancy, Berger-Levrault,
Nancy-Paris, 1902, tome 1, p. 195. Réédité en 1974, Editions du Palais Royal,
Paris.
- Pillement P., « L’ancien Hôpital Saint-Julien de Nancy, son
régime intérieur du XVIe au XVIIIe siècle », Revue médicale de l’Est, 1903 ;
Crépin-Leblond, Nancy, 1903, 33 p.
-
Histoire de la Congrégation des sœurs de Charité de St Charles, Imprimerie
catholique de René Vagner, Nancy, 1898, tome 1, p. 49.
-
Archives départementales de Meurthe-et-Moselle, ADH dépôt 60.
-
Archives non cotées du CHRU de Nancy.
-
Musée Lorrain Palais des Ducs de Lorraine.
-
Ville de Nancy, ancien hospice Saint-Julien, Barbier et Paulin, 1902.